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ne devint bientôt qu’une jonglerie, une exploitation indigne. On agiotait sur la bonne foi des personnes sincèrement religieuses, comme on avait agioté sur la crédulité des actionnaires du Mississipi. De la sorte, chaque fait s’enchaîne dans cette dégradation de la société française, telle que nous l’expose naïvement Barbier ; on marche de folie en folie, et les dates ici parlent plus haut que les mots : 1716, les bals de l’Opéra ; 1718, la banque de Law ; 1725, le pacte de famine ; 1727, le cimetière Saint-Médard.

Ainsi, par une contradiction singulière, tandis que, d’un côté, l’incrédulité grandissait dans l’ombre, de l’autre, on voyait renaître la confiance la plus aveugle dans l’impossible et le merveilleux. Comme dans les temps les plus troublés du moyen-âge, il se forma une foule de sectes qui devinrent, dans l’église janséniste, autant d’églises nouvelles, et se composèrent presque exclusivement de fripons et de personnes peu éclairées. Un frère mendiant du nom d’Augustin dit qu’il avait rencontré le prophète Élie, qui, suivant une tradition accréditée pendant tout le moyen-âge, devait rester sur la terre jusqu’au jugement dernier ; le prophète l’avait salué du nom d’agneau sans tache, et frère Augustin, en se faisant passer pour tel, trouva une foule de gens qui le crurent sur parole, l’adorèrent et lui firent des présens magnifiques. Il y eut le sabbat janséniste, comme au XVIe siècle il y avait eu le sabbat des sorciers. Des hommes et des femmes s’assemblaient le soir dans des quartiers isolés de Paris. Là, ils s’enfermaient dans une chambre, tuaient une oie, se marquaient le front d’une croix dessinée avec le sang de cet oiseau, et, après en avoir rôti et mangé la chair, ils se rendaient processionellement aux ruines de Port-Royal. La secte des multiplians de Montpellier rappela ces Gallois du Poitou qui, au XIIIe siècle, établirent, pour les hommes et les femmes qui avaient eu des passions vives et malheureuses, une confrérie des pénitens d’amour. Comme tous les réformateurs du moyen-âge, les Gallois, avant de changer l’église et la société, avaient commencé par changer les modes : l’été, ils se couvraient de manteaux et de chaperons fourrés, tandis que, l’hiver, ils portaient une petite cotte simple, avec une cornette longue et mince, et rien de plus. Les multiplians de Montpellier faisaient mieux encore que les Gallois ; au lieu de changer le costume, ils le supprimaient tout-à-fait dans leurs réunions officielles et clandestines, et il fallut, pour les ramener aux habitudes sociales, l’intervention d’une police vigoureuse. Les esprits forts, en fait d’absurdités, ne le cédaient en rien aux hérétiques, et l’on vit se renouveler le singulier phénomène intellectuel qui s’était déjà produit au XVIe siècle ; au moment même où les mystères les plus saints, les plus hautes traditions du catholicisme étaient en butte à d’indignes outrages, les rêveries absurdes de la magie, de la cabale, de la théurgie, reprenaient faveur. La fable des vampires se propagea dans toute l’Europe, et le livre de Garmann sur les morts devint le codex d’une sorte de thaumaturgie médicale. On crut que certains cadavres prenaient des alimens, qu’on pouvait entendre le bruit qu’ils faisaient en mangeant sous la terre, et que, dans le nombre, il y en avait qui se dévoraient eux-mêmes. De grands seigneurs se ruinaient en cherchant à voir le diable, et le prince de Tingri faillit perdre la tête à la suite d’un rêve dans lequel il avait cru lire un billet qui le convoquait à son propre enterrement et fixait le jour de ses funérailles au 19 mai 1729. Les chiens savans devenaient, pour le public, des chiens sorciers, et, lors des fêtes qui eurent lieu