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au mariage du dauphin, personne n’osait aller au bal, parce que l’on se rappelait cette prophétie de Nostradamus :

Peuple assemblé, vois nouveau expectacle :
Princes et rois ; par plusieurs assistans
Pilliers foiblir, etc.

Barbier, en rapportant ces anecdotes et d’autres du même genre, dit avec raison que ce qu’il y a de plus sot en France, c’est le public, ce qui ne l’empêche pas de se montrer tout aussi crédule que ce public dont il se moque. Voltaire, à son tour, après avoir raconté, dans le Siècle de Louis XIV, les longues querelles du jansénisme, termine son récit par ces mots : « Il serait très utile à ceux qui sont entêtés de toutes ces disputes de jeter les yeux sur l’histoire générale du monde, car, en observant tant de nations, tant de mœurs, tant de religions différentes, on voit le peu de figure que font sur la terre un moliniste et un janséniste ; on rougit alors de sa frénésie pour un parti qui se perd dans la foule et dans l’immensité des choses. » Voltaire, en écrivant ces lignes, avait trois fois raison ; mais aujourd’hui, quand on se reporte à l’histoire du XVIIIe siècle, quand on voit tant de folies, tant de misères, de si étranges aberrations, à une époque où la philosophie se montre à la fois si fière et si impuissante à arrêter dans sa chute cette société qui marche aux abîmes, on peut se demander avec autant de raison quelle figure un philosophe fait sur la terre. Et de quel droit d’ailleurs les philosophes reprocheraient-ils aux jansénistes d’avoir eu foi dans le diacre Pâris, lorsque bon nombre d’entre eux, et des plus incrédules, eurent foi dans Mesmer et Cagliostro ?

Dans la magistrature, dans l’armée, dans l’administration, le désordre était poussé aux dernières limites. Jusqu’en 1740, la France entretint les mêmes troupes que sur la fin du règne de Louis XIV, mais en plus petit nombre. C’étaient les mêmes usages, le même régime, la même tactique ; mais ce n’était plus la même armée. Les nobles, qui entraient dans l’église sans vocation, pour jouir, sans être prêtres, de bénéfices considérables, entraient également dans l’armée, sans être soldats, pour s’attribuer les profits des hauts grades. Si les abbés commendataires ne paraissaient que très rarement dans leurs abbayes, les colonels se montraient plus rarement encore à la tête de leurs régimens. La plupart ne songeaient qu’à s’amuser, et, pour satisfaire à des prodigalités folles, ils spéculaient sur leurs troupes comme sur une marchandise. Louis XV, par les ordonnances de 1726, tenta d’introduire un mode de recrutement national et régulier, une sorte de conscription ; mais les privilèges, les exemptions qu’on invoquait dans toutes les classes, rendaient le plus souvent cette mesure illusoire. En effet, les nobles, les fils des gros marchands, les fils aînés des fermiers, les fils aînés des laboureurs, des avocats, des employés des finances, les clercs tonsurés, les laquais, les syndics et les gardes des corporations, les membres des échevinages, les domestiques des gens de loi, des maires, des échevins, étaient exempts du service militaire. Après une telle élimination, il restait nécessairement peu de monde, et, pour remplir le vide des cadres, on avait recours au recrutement, c’est-à-dire qu’on enrôlait moyennant une prime, à titre de volontaires, ceux qui, par leur position, se trouvaient exemptés de droit. À Paris, les recruteurs tenaient ordinairement leurs établissemens