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que leurs intérêts ou leurs passions disposaient à les croire complètement vrais pussent se faire illusion à cet égard.

Malheureusement pour eux, un sentiment contraire commençait à prévaloir, beaucoup plus généralement qu’ils ne le supposaient, tant dans les classes populaires que dans la partie des classes moyennes reléguée par la législation en dehors de toute influence politique. Ce désaccord, en se prolongeant, eût pu préparer à l’Angleterre de terribles épreuves pour une époque plus ou moins éloignée et dénaturer peu à peu l’esprit de sa constitution. Si je ne me trompe, il y a lieu de s’applaudir, même au point de vue de l’opinion conservatrice, des circonstances accidentelles qui hâtèrent la solution de cette question.

Le parti tory, en possession du pouvoir depuis plus de vingt ans, s’était divisé. Déjà affaibli par la défection de Canning et de ses amis, il vit s’opérer dans son sein une autre scission bien autrement grave, bien autrement profonde, lorsque des ministres qu’il avait considérés jusqu’alors comme ses plus fermes appuis, le duc de Wellington et sir Robert Peel, crurent devoir, pour prévenir une guerre civile imminente, voter, avec le concours du parti whig, l’émancipation des catholiques, cette mesure que la veille encore ils repoussaient de la manière la plus absolue, en la qualifiant d’atteinte mortelle portée à la constitution. Les vieux tories, ceux qui se refusaient à toute transaction, indignés de ce qui leur paraissait une véritable apostasie et se croyant trahis, engagèrent contre leurs anciens chefs une guerre d’autant plus vive que le désir de la vengeance en était le principal mobile. Les emportemens auxquels ils se livrèrent ont à peine été égalés, dans ces derniers temps, par ceux qu’a soulevés contre sir Robert Peel une défection analogue dans la grande question des céréales. Plusieurs d’entre eux allaient, dans leur aveuglement passionné, jusqu’à dire publiquement qu’ils n’avaient plus d’objection à une réforme électorale, le vote de l’émancipation catholique ayant suffisamment démontré les vices du système dont était sorti un parlement capable de se laisser imposer, en matière aussi grave, la volonté d’un cabinet qui manquait à tous ses devoirs, à tous ses engagemens. Les imprudens ne craignaient pas de grossir ainsi, dans leur dépit puéril, la voix de l’opinion libérale, réclamant une concession bien autrement menaçante pour leurs préjugés que celle dont ils gardaient un souvenir si amer.

Sur ces entrefaites, le roi George IV, dont on connaissait les sentimens hostiles aux idées comme aux hommes de l’opposition, vint à mourir, Guillaume IV, son frère et son successeur, peu mêlé jusqu’alors au mouvement des affaires, avait dans ses goûts, dans ses manières, dans sa physionomie même, une certaine franchise rude et bienveillante, qui contrastait avec la morgue aristocratique du prince