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il y avait une part d’illusion dans la confiance qui animait alors les ames : on ne voyait que le côté brillant de la situation, on n’apercevait pas assez clairement les dangers des tendances trop démocratiques de la révolution qui venait de s’opérer ; on ne prévoyait pas la position difficile où se trouverait bientôt un gouvernement forcé de lutter contre ces tendances sans pouvoir s’appuyer sur les classes aristocratiques et sur la grande propriété territoriale, dévouées en majorité au pouvoir qui venait de périr et disposées d’avance, avec le déplorable entraînement du caractère français, à s’unir à tous les ennemis de la monarchie nouvelle, sous quelque drapeau qu’ils se présentassent. C’était là, pour l’établissement de 1830, une difficulté immense, que n’avait pas rencontrée en Angleterre celui de 1688, dont on aimait à lui prophétiser les destinées. Cette difficulté était-elle absolument insurmontable et le régime de 1830 était-il fatalement condamné à périr, comme ses adversaires l’ont dit naturellement de tout temps, comme le disent depuis quelques années beaucoup de ses anciens amis ? Je ne le pense pas, pas plus que je ne pense que la restauration dût nécessairement succomber sous le poids des souvenirs de 1814 et 1815, et des haines, des défiances qu’ils avaient suscitées contre elle. Il y a peu, il n’y a peut-être pas de gouvernemens qui, pouvant durer quelques années, soient d’avance et inévitablement condamnés à mort. Ce qui est vrai, c’est que certains gouvernemens, soit à raison de leur origine, soit par l’effet de la nature des élémens sur lesquels ils reposent, sont placés dans la dure condition de ne pouvoir faire impunément des fautes de quelque gravité, et telle était, pour des causes et à des degrés différens, la situation de nos deux dernières monarchies. À force de prudence et d’habileté, en gagnant du temps, on pouvait les faire vivre et les affermir peu à peu. L’établissement de 1688 avait mis près de quatre-vingts ans à se consolider, à devenir un gouvernement définitif et complètement accepté au dedans comme au dehors : tant il faut de temps à un pays pour effacer les traces des révolutions même les plus modérées et les plus nécessaires !

Malheureusement il n’est guère dans le caractère français d’accorder à ses gouvernemens un si long temps d’épreuve, mais enfin, je le répète, il est permis de penser que nos monarchies n’étaient pas d’avance et irrévocablement condamnées à mort, et que, plus ménagées par leurs amis, elles n’auraient pas succombé sous les coups de leurs ennemis.

Je reviens à l’Angleterre de 1830, que j’ai un moment perdue de vue en me laissant aller à de tristes souvenirs.

J’ai dit quelles impressions profondes notre révolution de juillet y avait faites sur les classes éclairées. Dans les classes inférieures, dans les campagnes particulièrement, elle n’avait pas moins remué les esprits.