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Le bruit s’y était répandu que le peuple français venait de secouer le joug des nobles et des riches et de fonder un régime d’égalité absolue qui appelait à la jouissance de tous les biens de la terre les classes jusqu’alors condamnées à la pauvreté. L’esprit d’imitation, le désir d’atteindre aussi cette félicité fantastique, s’étaient emparés de l’imagination des hommes grossiers qui, dans leur ignorance, se représentaient sous cet aspect la chute du trône de Charles X. On les voyait de tous côtés se réunir, s’agiter. Des actes de violence, des incendies multipliés attestaient, non pas comme le pensaient alors certaines personnes, le fait d’un vaste complot formellement organisé et dirigé par des chefs occultes, mais, ce qui était plus dangereux peut-être, l’existence d’un état d’excitation et de malaise qui pouvait devenir le principe d’une révolution formidable, si le gouvernement, par un mélange habile de fermeté et de sages concessions, ne trouvait moyen de redresser l’esprit public.

Les élections qui eurent lieu sur ces entrefaites pour le renouvellement de la chambre des communes, dont les pouvoirs avaient expiré par la mort de George IV, furent encore un symptôme de la situation. Il ne pouvait sortir du corps électoral, tel qu’il était alors organisé, qu’une expression très affaiblie de l’opinion qui agitait le pays ; néanmoins la composition de la nouvelle chambre parut, de prime abord, donner au parti réformateur, non pas encore la majorité, mais une minorité plus forte que celle qu’il avait eue jusqu’alors.

Les whigs étaient loin pourtant de croire qu’on touchât au moment où ils pourraient s’emparer du pouvoir. Depuis bien des années, leurs vœux se bornaient à le partager avec la portion la plus modérée des tories, en les entraînant peu à peu dans une voie plus libérale, comme cela avait eu lieu dans les derniers mois de la vie de Canning. Aussi, lorsqu’à l’ouverture de la session, le duc de Wellington, alors chef du cabinet, crut devoir déclarer avec la franchise loyale, mais parfois peu habile qui le caractérise, que le gouvernement se maintiendrait sur le terrain qu’il avait jusqu’alors occupé et s’opposerait d’une manière absolue à toute proposition de réforme électorale, les whigs, qui ne se croyaient pas en mesure de surmonter cette résistance, furent-ils saisis d’un profond découragement. Ni eux ni leurs adversaires ne prévoyaient l’effet de l’imprudente déclaration du premier ministre nouvelle et bien remarquable preuve du désaccord qui commençait à séparer la population de ses représentans officiels ; déjà on ne se comprenait plus.

Cet effet fut immense. L’irritation publique se manifesta avec une telle violence, qu’on put craindre les plus grands excès. On se rappelle encore l’effroi qui s’empara des imaginations lorsqu’on apprit, par un avis officiel et public, que les conseillers de la couronne, parmi lesquels