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que tout se modifiait autour de lui ? C’eût été s’égarer dans le grand chemin des révolutions, dans celui qui, un peu plus tôt ou un peu plus tard, y aboutit infailliblement. C’est parce que l’Angleterre n’y a jamais marché, c’est parce qu’elle a insensiblement, mais continuellement, depuis des siècles, modifié sa constitution, qu’elle a pu jusqu’à présent en conserver la substance. L’aristocratie qui la gouverne encore aujourd’hui ne ressemble guère à celle qui arracha à Jean-Sans-Terre les garanties de la grande charte, cela est évident ; pour peu qu’on y regarde de près, on reconnaîtra même que déjà elle diffère beaucoup de celle qui renversa Jacques II et appela au trône la maison d’Hanovre. Cependant, entre ces aristocraties diverses, entre les institutions qui ont été l’instrument de leur suprématie, il existe une chaîne continue qui n’a jamais été brisée ; c’est par des gradations presque insensibles que la situation s’est modifiée, et il serait à peu près impossible de fixer avec précision les époques de ces transformations successives. Le grand secret d’une telle politique est de ne jamais laisser trop long-temps en dehors du pouvoir les forces nouvelles qui se sont produites, mais de ne les y admettre qu’avec une sage lenteur, avec des précautions telles que l’esprit nouveau ne prévale jamais d’une manière soudaine et absolue dans l’organisation officielle du gouvernement, et’ qu’il ne puisse y devenir dominant avant de s’être incorporé en quelque sorte aux formes et aux institutions anciennes qu’il vient rajeunir.

Ces habiles tempéramens me paraissent avoir présidé encore à la réforme de 1832 et à ses développemens. Un changement était devenu nécessaire, tout le monde avait fini par le reconnaître. Ce changement pouvait-il avoir de moindres proportions ? Je ne le pense pas. Il fallait qu’il fût efficace ; on ne trompe pas par de fausses apparences une nation telle que la nation anglaise. Il a pu en résulter, dans les premiers momens, un peu de désordre ; l’excitation produite par l’emportement de la lutte devait ébranler pour quelques instans, au moins en apparence, cet admirable équilibre qui fait la force et la sécurité de l’Angleterre. À l’époque des premières élections qui suivirent le vole du bill, on put croire qu’il avait complètement bouleversé le système de la représentation nationale. Les tories se trouvèrent réduits à une insignifiante minorité ; une immense majorité libérale, dont les Whigs formaient la masse principale, couvrit les bancs de la chambre des communes. Les conservateurs extrêmes croyaient tout perdu, mais on vit alors le merveilleux résultat de ces contre-poids qui constituent le corps politique de l’Angleterre, du bon sens ferme et pratique qui caractérise le peuple anglais. La chambre des lords, appuyée par les vœux secrets et bientôt par la volonté non douteuse de la couronne, trouva, pour arrêter la chambre des communes dans une carrière d’innovations à laquelle l’esprit public n’était pas encore complètement préparé,