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bals maritimes résonnent le long des canaux comme au temps des Espagnols. On parle bien à Paris du bal Mabille et du Château-Rouge : je puis donc vous parler de ces réunions cosmopolites, qui ne sont qu’un peu plus décentes. — Le jour où j’arrivais à Anvers, il y avait un banquet de soixante-deux capitaines de navires dans un des plus vastes établissemens du quai de l’Escaut. Les bassins étaient si remplis, qu’un grand nombre de bricks et de frégates louvoyaient sur le fleuve en attendant leur tour. Quelle forêt de mâts, plus serrée et plus touffue qu’aucune forêt possible, car des arbres de cette taille ne sont jamais si rapprochés ! Des affiches annonçaient ce même jour quatre départs pour Archangel. — Replongeons-nous dans les rues, de peur de céder à de telles séductions.

En multipliant le nombre des capitaines de haut bord par celui des simples caboteurs, des officiers et des matelots d’une telle agglomération, vous comprendrez l’éclat inoui de ces riddecks, survivant au siècle où Rubens y a étudié les enlacemens robustes de ses dieux marins et de ses océanides. Malheureusement l’imitation de Paris gâte tout. Plus de danses nationales, plus de costumes, excepté celui des Frisonnes, — qui viennent vous offrir, avec leurs coiffures de reines, leurs dentelles et leurs longs bras blancs, des oeufs durs, de la morue découpée, des pommes rouges et des noix. Les vareuses et les chemises coloriées des matelots répandent aussi quelque gaieté dans cette foule. — De temps en temps, de belles personnes en costume de bal, et qui ne seraient désavouées dans aucun monde, forment le carré d’un quadrille tout féminin. Ensuite la valse mugit avec furie, imitant tous les balancemens de vagues que peut créer l’union du triton et de la sirène. Des familles anglaises viennent voir cela par curiosité, car il y a des estrades consacrées aux bourgeois, où l’on ne voit naturellement s’attabler que des étrangers.

Le lendemain matin, j’étais à bord du paquebot Amicitia, qui, tous les jours, fait le trajet d’Anvers à Rotterdam en huit heures. Les armes des deux villes décorent le bastingage. Les mains coupées du géant d’Anvers se tendent affectueusement comme pour caresser les quatre lions de gueule et de sable de l’écusson néerlandais. On n’a rien de mieux à faire alors que de s’attabler pour plusieurs heures dans la cajute avec la certitude d’échapper aux prescriptions sévères du vendredi belge. La viande protestante s’étale sous toutes les formes, et, toujours trop peu cuite pour nous, inonde de son sang les pommes de terre de Dordrecht. On laisse à gauche Flessingue, à droite Berg-op-Zom en fredonnant la vieille chanson française : C’ti-lia qu’a pincé Berg-op-Zom, et l’on se fatigue peu à peu de ces méandres de bras de mer et d’embouchures de fleuves qui découpent la Zélande en guipures. À la hauteur d’un certain fort qui doit s’appeler Loo, le pavillon belge nous