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échelle se valent en solidité, et il est impossible de réunir plus de noblesse à plus de grandeur. Pierre-le-Grand, c’est l’Émile de Rousseau idéalisé d’avance.

Je compris, en retrouvant l’inconnu à la porte et lui voyant un air embarrassé, qu’il obligeait ses amis à la manière de M. Jourdain ; mais il s’y était pris spirituellement. J’offris de lui prêter un florin qu’il accepta sans difficulté.

— Maintenant, monsieur, voulez-vous venir voir Broek ? cela ne coûte que quatre florins. — C’est trop. — Deux florins, et j’y perds. — Je n’y tiens pas. — Alors, monsieur, ce sera un florin,… je fais ce sacrifice par amitié. — En effet, ce n’était pas cher ; il fallait une voiture pour franchir les deux lieues. Tout le monde sait que Broek est un village dont tous les habitans sont immensément riches. Le plus pauvre, n’étant que millionnaire, a accepté les fonctions de gardien des portes et de garde-champêtre à ses momens perdus. La vérité est que les paysans de ce village sont des commerçans et des armateurs retirés, chez lesquels sont venues s’amasser pendant plusieurs générations les richesses des Indes et de la Malaisie. Ces nababs vivent de morue et de pommes de terre au milieu du rire éternel des potiches et des magots. Chaque maison est un musée splendide de porcelaines, de bronzes et de tableaux. Il y a toujours une grande porte, qui ne s’ouvre que pour la naissance, le mariage ou la mort. On entre par une porte plus petite. L’aspect du village offre un carnaval de maisons peintes, de jardinets fleuris et d’arbustes bizarrement taillés. C’est là que l’on rabote, par un sentiment exquis de propreté, les troncs des arbres, qui sont ensuite peints et vernis. Ces détails sont connus ; mais il y a quelque exagération dans ce qu’ont dit certains touristes, que les rues sont frottées comme des parquets. — Le pavé se compose simplement de tuiles vernies, sur lesquelles on répand du sable blanc, dont la disposition forme des dessins. Les voitures n’y passent pas et doivent faire le tour du village. Ce n’est que dans le faubourg que l’on peut rencontrer des auberges, des marchands et des cafés. Les femmes ont conservé, comme à Saardain, les costumes pittoresques de la Nord-Hollande. Les couronnes d’orfèvrerie, souvent incrustées de pierres fines, les dentelles somptueuses et les robes mi-parties de rouge et de noir sont les mêmes qu’à l’époque où une reine d’Angleterre se plaignait d’être éclipsée par les splendeurs d’une cuisinière ou d’une fille de ferme. Il y a au fond beaucoup de clinquant dans tout cela ; mais l’aspect n’en est pas moins éblouissant.

Il ne faut pas mépriser Saardam, où nous rentrons après cette excursion rapide. — J’ai demandé à voir le bourgmestre, et je m’attendais à voir surgir tout à coup l’ombre de Potier. Le bourgmestre était absent, heureusement pour lui et pour moi. — La mairie est située