du degré de démoralisation et de barbarie où peuvent retomber des populations livrées à ce fléau. Vous aurez beau vous émerveiller sur le progrès de la nature morale, sur la fraternité, sur l’adoucissement des mœurs et l’élévation du sentiment humain par la civilisation : vous vous retrouverez soudainement, au bout de vos dithyrambes, en face de quelques-uns de ces actes sauvages qui ont signalé les dernières insurrections. Ici c’est l’embauchage s’exerçant sur les soldats pour arriver à l’assassinat de tous les officiers d’un régiment ; là, dans une ville de l’Hérault, ce sont des bandes d’insurgés qui se réunissent contre quelques malheureux gendarmes poursuivis et traqués dans leur maison livrée aux flammes. Ils étaient cinq ou six cents peut-être pour avoir raison de trois ou quatre pauvres soldats à bout de forces, dont les cadavres eux-mêmes ont eu à subir des insultes et des mutilations inouies. Il ne faut point, sans doute, imputer à un parti, à une opinion la solidarité de tels actes ; mais enfin c’étaient là des armées échauffées dans les conciliabules secrets, organisées avec leurs mots d’ordre, et qui comptaient des trente et quarante mille hommes dont quelqu’un apparemment entendait bien se servir. Ces étranges soldats, rangés en décuries et en centuries, avaient peu de principes et d’opinions politiques, soit ; mais ils avaient fait de 1852 l’échéance de leurs passions et de leurs rancunes : ils savaient quels capitalistes et quels patrons il fallait rançonner, quelles maisons étaient à piller ; ils avaient leurs catégories de suspects et de riches. Si quelque chose peut frapper à côté de ces symptômes, c’est l’attitude des classes menacées. Cette attitude, c’est l’abandon de soi-même. À Bédarieux, on n’osait pas même signer une demande de garnison de peur de se désigner aux sociétés secrètes. Voilà pourtant les progrès de la nature morale en temps de révolution ! Voilà ce que peuvent produire quelques années de cette vie indéfinissable : — d’un côté, le soulèvement des passions grossières finissant par effacer de certaines ames l’instinct humain lui-même, — de l’autre, la peur, pour l’appeler par son nom, ôtant jusqu’à la faculté d’agir et de se défendre ! N’admire-t-on pas ce qu’il y a dans ces extrémités de merveilleusement propre à façonner un peuple à l’exercice sévère de la liberté ? Étonnez-vous ensuite que la conscience publique n’ait point les mêmes susceptibilités qu’autrefois, que les convictions fléchissent chez le plus grand nombre, que les idées les plus généreuses qu’on pouvait nourrir cèdent la place à un sentiment exclusif de conservation, et qu’il ne reste plus qu’une pensée, celle de vivre et de chercher quelque réparation dans le repos !
Ces tristes procès ouvrent donc un jour particulier sur l’état réel où nous sommes ; ils sont un des élémens du bilan moral des dernières révolutions. Est-on curieux d’en connaître le bilan matériel ? il est inscrit dans la loi des comptes de 1848, récemment votée par le corps législatif. Ces comptes avaient été déjà l’objet de divers rapports dans la précédente assemblée législative ; on avait même proposé certaines revendications au sujet des dépenses les plus criantes et les plus illégales. Le gouvernement a pensé aujourd’hui que ces répétitions étaient trop peu de chose, mises en balance avec les désastres publics. Certes l’enseignement général suffit bien. Nous voudrions que ce résumé fuît perpétuellement sous les yeux du pays dans son éloquence. Les chiffres ont une manière de parler très saisissante pour tout ce qui travaille et contribue, pour le propriétaire, l’industriel, le commerçant, le laboureur, l’ouvrier