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qui vit de ses peines. Quelle étrange et instructive histoire d’ailleurs ! On a eu raison de le dire : un hasard providentiel a fait que, par chacun de leurs actes, les auteurs de la révolution de février aient démenti chacune de leurs paroles et de leurs promesses. Ils s’étaient apitoyés sur les charges du peuple, et ils l’ont frappé de contributions extraordinaires ; ils s’étaient élevés contre l’exagération des dépenses, et ils ont laissé un budget de 1,750 millions. Ils ont crié à la curée et à la dilapidation, et ils ont mis dans leur budget des articles comme celui-ci « Frais de premier établissement des anciens détenus politiques promus à des fonctions publiques à partir du 24 février. » Il y a là dans ces comptes des dépenses motivées et justifiées par ce simple mot d’un commissaire : J’ai dépensé, payez ! C’est ce qu’on peut justement appeler le style spartiate transporté dans le maniement des finances. La cour des comptes était visiblement très réactionnaire, si elle n’a point compris cette manière de démocratiser la gestion des deniers publics. Il y a là encore des sommes énormes employées à payer des exaltés pour s’éloigner de certains départemens, à payer des modérés pour se mêler aux manifestations populaires, à payer les masses qui encombraient les rues, etc.., de telle sorte que tout se résout inévitablement par un mot : payer ! Et finalement sait-on au juste ce que cette année 1848 a coûté à la France ? 1,700 millions de plus environ dans sa dette inscrite, près de 950 millions de ressources extraordinaires absorbées, et 336 millions de nouveaux découverts qui ont pesé et pèsent encore sur nos budgets depuis cette époque. C’est quelque chose comme 3 milliards, prix coûtant d’une révolution ; c’est un peu plus que le prix de l’invasion de 1814 et de 1815, selon la remarque du rapporteur du corps législatif. Et les fortunes individuelles brisées, et le travail privé suspendu, et la misère allant s’asseoir à tous les foyers ! — ne voilà-t-il pas de quoi recommander glorieusement à la mémoire du pays cette année 1848, dont la liquidation se poursuit sous nos yeux au point de vue moral comme au point de vue matériel ? Ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’à ce terrible quart d’heure de Rabelais des révolutions, ce ne sont point les révolutionnaires seulement qui paient, c’est le pays, le pays tout entier, frappé dans sa fortune, dans sa puissance, dans sa liberté, que les factions lui ont rendue suspecte. Au fond, il faut bien le dire, ces années ne sont faites pour relever la fierté de qui que ce soit. Récemment, dans un discours prononcé sur la tombe de M. le marquis de Mornay, qui avait fait une figure honorable le 24 février, M. Guizot ajoutait qu’il s’abstenait de qualifier ce jour, parce que la veille il avait en l'honneur de tomber le premier dans le désastre de son pays. Véritablement on peut se demander où est l’honneur en tout ceci. Cela nous rappelle un mot qu’on nous rapportait d’un des premiers hommes d’état de la restauration. Comme on lui vantait son ministère et ses travaux, il répondait simplement que, pour un chef du conseil qui n’avait point réussi et n’avait pu rien empêcher, il fallait être modeste. Quant à nous, qu’on nous permette de le dire, nous préférons pour un homme d’état l’honneur de rester debout à l’honneur de tomber, même la veille, surtout la veille des grandes catastrophes. S’il est même un enseignement qui ressorte avec évidence des événemens accumulés dans ces dernières années, c’est le devoir pour les gouvernemens, dans l’intérêt du pays et de leur bonne renommée, de préférer l’un à l’autre de ces genres d’honneur, parce qu’après tout tomber est à la portée de tout le monde ; le difficile est de se maintenir par l’autorité d’une politique équitable, prévoyante et forte.