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Ce qu’on peut dire de mieux et de plus plausible pour expliquer cette grande aventure, c’est que réellement on ignorait en France, on avait oublié de quelles pertes, de quels sacrifices de tout genre se paie une révolution, surtout quand elle met le bon marché dans son programme. Il s’était propagé cette incompréhensible idée, qui consistait à faire au gouvernement constitutionnel une sorte de point d’honneur de se défendre le moins possible ; il semblait, en vérité, que le souverain mérite de ce gouvernement, c’était qu’on pût en avoir raison plus aisément. On a appris depuis ce qu’il en fallait croire, et, comme il arrive souvent, ce n’est point à ceux qui ont fait les frais de l’expérience qu’en reviennent les profits. Un des caractères les plus frappans de ces épreuves successives, c’est qu’il en résulte pour le pays toute une vie à recommencer, toute une série d’expériences à reprendre, toute une éducation à se refaire. C’est une carrière nouvelle à parcourir qui aura probablement ses signes distinctifs, ses phases et ses incidens propres. Nous avons eu déjà bon nombre de ces incidens : il serait injuste de ne point reconnaître que quelques-uns réunissaient toutes les conditions nécessaires pour défrayer amplement la curiosité publique. Il est résulté à coup sûr de l’un des plus récens que la presse, elle aussi, elle surtout, avait son éducation à faire, et que ceux qui se piquaient le plus d’orthodoxie avaient eux-mêmes bien des choses à apprendre encore. Qu’a pu raisonnablement voir le public dans l’incident dont la Belgique a été la cause innocente, et qui a amené une note du Moniteur suivie d’un avertissement réitéré ? C’est qu’il est fort dangereux sans doute de mettre ses bonnes fortunes politiques en premiers-Paris, et qu’il vaudrait mieux en faire un peu moins d’ostentation, surtout quand on est si près des désaveux. Nous savons bien que cela est difficile avec certains tours d’esprit, et que, quand on s’attribue l’honneur et le devoir d’approcher le chef de l’état, c’est bien le moins que personne ne l’ignore. Mais quoi ! on a si bien édifié le public sur les importances depuis quelque temps, qu’il en est devenu sceptique, et qu’il se sent très disposé peut-être à prendre au mot ceux qui l’ont si bien prêché, en leur appliquant à eux-mêmes leurs propres paroles, sauf à convenir encore que., même en ce genre, il y a importances et importances. La vanité, pour tout dire, est une terrible chose. L’illustre et malheureux Rossi avait coutume de dire, assure-t-on, qu’il passait chaque jour deux heures à en guérir ses enfans. Combien de gens à qui de telles leçons ne seraient point inutiles, ne fût-ce que pour ne point croire absolument l’univers occupé du personnage qu’ils représentent ! Au fond, il peut sembler bizarre qu’un incident de ce genre ait pu prendre un instant les proportions d’un événement. Ce qui serait bien plus fâcheux encore, ce serait qu’il en résultât pour la presse des difficultés nouvelles dans la situation qui lui est faite.

Au reste, la presse n’est point sans avoir quelque chose à redouter d’un autre côté en ce moment. Depuis quelques jours, il était question de plusieurs impôts nouveaux sur les voitures, sur les chiens, etc. Il s’y joignait une taxe sur le papier, et il est facile de pressentir la gravité de ce dernier impôt pour les publications de tout genre. Ces divers projets viennent d’être présentés au corps législatif. Nous ne demanderions pas mieux que l’état trouvât de nouvelles sources de revenus dans des impôts somptuaires : il pourrait trouver assurément à en faire un utile usage : mais on peut se demander d’abord si le luxe est assez grand en France, malgré certaines apparences, pour que des