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du mauvais goût, et sacrifiait sans scrupule à cette étrange étude celle des chefs-d’œuvre du Vatican. Peut-être, à son arrivée à Rome, Joseph Vernet se fût-il, lui aussi, pris d’admiration pour l’art corrupteur qui était de mode, si une circonstance particulière ne l’eût aguerri d’abord contre les dangers de l’exemple et isolé de la contagion.

Vernet, en partant d’Avignon, n’emportait avec lui qu’une modique somme, qu’il lui aurait fallu dépenser tout entière dans un voyage par terre, et, pour se ménager quelques ressources pendant les premiers temps de son séjour à Rome, il avait décidé de s’y rendre par la voie la moins coûteuse. Un petit bâtiment allait faire voile de Marseille pour Civita-Vecchia ; Vernet y prend passage, sans se douter de l’influence qu’allait avoir sur l’avenir de son talent cette mesure de simple économie, et le voilà pour la première fois en mer, rêvant aux merveilles qui l’attendent à Rome, et impatient surtout d’arriver. Cependant la grandeur et la nouveauté du spectacle ne tardent pas à mêler une émotion singulière à son désir de toucher le port. Chemin faisant, il s’essaie à reproduire les scènes majestueuses qui se déroulent sous ses yeux ; retenu quelques jours par le calme et les vents contraires, il profite de ce retard pour dessiner à loisir les vaisseaux, la mer, les côtes de la Méditerranée ; une tempête survient ensuite qui achève d’enthousiasmer le jeune peintre et détermine sa vocation. Bref, en débarquant à Civita-Vecchia, Vernet ne songeait plus seulement à développer son talent de paysagiste, il s’était promis d’y joindre un talent nouveau, en devenant peintre de marine.

Peu d’artistes l’avaient précédé dans la carrière où il se proposait d’entrer. Les seuls qui l’eussent parcourue avec éclat appartenaient à l’école hollandaise, car on ne saurait ranger Claude Lorrain parmi les peintres de marine, malgré le rôle que joue la mer dans la plupart de ses tableaux ; les modèles du genre ne pouvaient par conséquent être d’aucun secours à Vernet, et c’était uniquement à la nature qu’il lui fallait demander des leçons. Il apprit cependant qu’un peintre établi à Rome, Bernardino Fergioni, faisait tant bien que mal profession de l’art spécial auquel lui-même voulait se livrer ; il crut devoir se mettre en apprentissage dans l’atelier de cet artiste, fort peu célèbre de son vivant, parfaitement obscur aujourd’hui, et qu’il étonna au plus haut point lorsqu’il vint solliciter comme une faveur des conseils que le pauvre homme n’avait jamais vu rechercher. Un pareil maître dut à peine contribuer aux progrès de son élève. Il est au moins probable que le souvenir de ce que Vernet avait vu durant sa traversée eut une part principale au développement de ses dispositions naturelles, et que Fergioni n’exerça qu’une influence bien secondaire sur ce talent original,