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et ces Essais et les Principes qui leur ont succédé et qui en développent l’esprit, nous n’avons pu parvenir à y découvrir que la raison générale suivante de la légitimité de la méthode spéculative en économie politique. Traiter l’économie politique par la méthode d’observation, ce serait, suivant M. Mill et toute l’école au nom de laquelle il parle, la faire descendre du haut rang de science à l’état vulgaire d’art. L’économie politique en tant que science, dit M. Mill, ne se propose pas de tracer aux nations les règles qu’elles ont à suivre pour s’enrichir ; elle ne dit pas : Faites ceci, évitez cela (do this, avoid that) ; c’est le langage de l’art. Elle part de la connaissance d’un phénomène (takes cognizance of a phenomenon), et elle en cherche la loi (and endeavours to discover its law) ; elle dit : Cela est, ou cela n’est pas, cela doit ou ne doit pas arriver (this is or this is not ; this does or not does happen). Cette raison, la seule, je le répète, que l’école économique anglaise, par l’organe de son maître contemporain le plus célèbre, ait jugé à propos de donner de la légitimité de sa théorie, est en vérité trop légère pour qu’il soit possible de s’en contenter. Traiter l’économie politique par la méthode d’observation n’est pas le moins du monde la réduire à l’état d’art : c’est en faire une science expérimentale, ce qui est bien différent. L’économie politique peut être à la fais une science expérimentale et une science pratique ou un art, sans qu’aucune confusion se glisse entre ses lois en tant que science et ses préceptes en tant qu’art.

Quand Adam Smith a découvert et décrit les deux grandes lois de la liberté et de la division du travail, a-t-il fait de l’art ou de la science ? Il a fait de la science expérimentale, c’est-à-dire qu’il a découvert par l’observation comparée des faits, que le travail libre et le travail divisé étaient plus et mieux productifs que le travail des esclaves et le travail non divisé. Son livre est là pour faire foi de ce que j’avance : c’est l’étude comparée de l’histoire du travail dans les colonies anglaises et françaises qui l’a conduit à revendiquer l’affranchissement des noirs au double nom de l’abondance et du fini des produits ; c’est après une journée passée dans une manufacture d’épingles, que, généralisant avec esprit et hardiesse un fait d’expérience vulgaire, il a élevé la division du travail à l’état de loi. En agissant ainsi, assurément il n’a pas fait de l’art : il a fait de la science, et du meilleur aloi, de la science expérimentale. Maintenant il est certain que de la connaissance des lois découvertes par la science économique on peut tirer des préceptes de conduite pour la pratique de l’économie. Ainsi de cette loi révélée par l’expérience, que la division du travail est un principe de puissance productive, l’économiste pratique tirera des préceptes dont les manufacturiers feront profit, et bientôt, à côté de la science expérimentale de l’économie, s’élèvera l’économie pratique, comme à côté de la physiologie, par exemple, s’est élevée la médecine ;