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c’est là que le mot du sophiste ancien est vrai jusqu’à la lettre et que l’homme est la mesure de toutes choses, » car toutes choses s’y mesurent sur la valeur qu’il leur attribue, et la valeur qu’il leur attribue varie comme les choses les plus changeantes de la nature humaine, ses besoins, ses intérêts, ses passions. Si de la considération des individus nous venons à celle des sociétés, même remarque. La misanthropique éloquence de Pascal peut ici, en toute raison, se donner carrière : trois degrés d’élévation du pôle renversent tout ; vérité au-delà de la Manche, erreur en-deçà ; ce qui est utile à Londres serait mortel à Paris, et réciproquement ; la France grandit là où l’Angleterre périrait. L’idéal proprement dit, c’est-à-dire l’idéal absolu et universel, n’est donc pas concevable en économie politique ; mais le fût-il, ce ne serait certainement pas l’école anglaise qui l’aurait trouvé. L’idéal des choses, en effet, n’en a jamais été ni la mutilation ni le renversement, et l’économie spéculative, ainsi que nous avons vu, ne fait rien que mutiler l’humanité et que renverser l’univers. L’économiste spéculatif se propose de trouver le moyen de produire au plus bas prix possible, et d’exprimer pour cela de la substance du producteur, que ce soit une machine ou un homme, un cheval ou un enfant, un être moral ou une brute, tout ce qu’il peut rendre. Quel idéal que. celui-là ! Ce même spéculatif prétend en outre refaire le globe de fond en comble et en supprimer d’un seul coup toutes les lois physiques et politiques ; l’univers vide et imaginaire qu’il songe peut-il passer à aucun titre pour l’idéal de l’univers réel ? Enfin l’objet de tout idéal est de tracer à la pratique d’un art un modèle que sans doute celle-ci ne pourra jamais atteindre, mais dont elle pourra toujours se rapprocher. C’est la prétention, en effet, de l’économie spéculative vis-à-vis de l’économie pratique ; mais cette prétention est illusoire. Proposer de distribuer la richesse dans le monde avec une égalité et une vitesse indépendantes du temps, de l’espace et des nécessités morales et politiques de tout genre qui altèrent cette vitesse et cette égalité, ce n’est pas proposer l’idéal, mais l’impossible.

On voit que tout est faux dans ce système, principes, conclusions, but final. Les principes, de l’aveu de leurs auteurs, sont des hypothèses, et des hypothèses où l’humanité est défigurée et l’univers détruit. Les conclusions, respirant et reproduisant l’esprit des principes, ne sont comme eux que des fantaisies imaginaires. Et quant au but final, non-seulement l’économie politique n’y peut atteindre, mais il serait contradictoire qu’elle y tendît. Nous pouvons donc conclure sans le moindre scrupule que la théorie de l’école économique anglaise est scientifiquement injustifiable.

Mais ici et tout aussitôt une pensée se présente. C’est assurément une chose extraordinaire qu’une école aussi visiblement, chimérique