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que celle dont nous venons d’examiner les maximes se soit élevée en Angleterre, dans ce pays si peu enclin aux rêveries philosophiques, dans la patrie du logicien et de l’applicateur par excellence de la méthode expérimentale, au sein du peuple qui a produit et Bacon et Newton, bien plus, à vingt et quelques années seulement de la mort d’un homme qui avait en Angleterre même fondé la science économique, en la traitant le premier par la voie de l’expérience. Il y a là sans doute une contradiction apparente qui mérite d’être éclaircie. Si les principes de l’école économique anglaise sont scientifiquement injustifiables, cette école a sans doute ailleurs que dans la science sa raison d’être et surtout de régner. Il répugne, en effet, de supposer que l’auteur de cette école, Ricardo, esprit positif assurément et qui avait passé la moitié de sa vie à la bourse de Londres, soit devenu tout à coup, par simple goût pour la vie contemplative, un économiste spéculatif. Les hommes distingués qui depuis ont suivi en foule ses traces ne sont rien moins non plus par caractère que des rêveurs. M. Mill, le dernier en date, quoique plus philosophe proprement dit que la plupart de ses devanciers, écrit cependant lui-même dans des vues vraiment pratiques ; les plus belles pages de ses Principes en font foi. Si la théorie économique anglaise est insoutenable, ce n’est donc vraisemblablement pas un motif pour que son apparition ne puisse être expliquée : C’est cette explication que je voudrais maintenant rechercher.

Il n’est guère de système qui ne s’explique par ses origines historiques ; j’entends très généralement par là non-seulement le pays et l’époque où le système est né, mais l’ensemble de circonstances de tout genre, les plus matérielles et les plus locales même, au sein desquelles il s’est produit. Les sciences les plus désintéressées ont subi cette influence. La science spéculative par excellence, la métaphysique, en est la preuve. Le problème de l’origine du monde, par exemple, est bien purement spéculatif. Voyez les deux grandes solutions cependant que, dans l’ignorance de la Bible et avant la venue du christianisme, en avaient données l’Orient et la Grèce ; l’une et l’autre, pour rappeler la belle expression de Buffon, sont « teintes de la couleur de leur climat. » En présence du déploiement incomparable des forces de la vie matérielle que développé le ciel enflammé de l’Asie, les riverains de "l’Indus et du Gange se prirent naïvement à penser que cette magnifique nature n’était rien que le premier principe épanoui, et ils crurent qu’ils assistaient ici-bas à une scène de l’existence de Dieu. La Grèce tomba, par des causes voisines, dans une erreur différente. La race grecque était née artiste ; tout dans ses nobles instincts la poussait à la conception et à la reproduction du beau. À force de suivre son génie, elle le divinisa et son dieu fut un poète, un statuaire et un peintre. Si la plus spéculative de toutes les sciences a pu subir à ce point