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des Guascon et des Padeloup ? M. Vigna surtout, véhémentement suspect de grattage, aurait dû être emprisonné tout d’abord. Vous saurez, monsieur, que le rédacteur de l’acte d’accusation trouve le grattage une opération fort criminelle, qui, selon lui, a pour but de faire disparaître les estampilles appliquées sur les livres des bibliothèques publiques. Heureusement, quelque habiles que soient les gratteurs, la Providence permet qu’on découvre toujours les traces de leurs méfaits.

On s’étonne qu’après avoir parlé de recherches techniques, le juge ne sache pas encore qu’il y a grattage et grattage, estampilles et estampilles. Vous me pardonnerez d’entrer dans quelques explications sur un sujet qui vous est familier, mais il paraît que la restauration des livres est encore un art bien mystérieux. Beaucoup de livres anciens portent des estampilles attestant qu’ils proviennent de bibliothèques particulières, très souvent d’établissemens religieux supprimés, et ces livres-là se vendent et s’achètent publiquement en tout bien tout honneur. Il n’est pas rare de trouver des volumes revêtus de cachets à la cire. Parmi les bibliophiles, on fait une grande différence entre les estampilles : les unes sont l’indice d’une origine illustre, d’autres ne sont considérées que comme des taches qui gâtent la page sur laquelle elles sont imprimées. Il en est de même des inscriptions si fréquentes sur les marges et sur les gardes. Si elles sont de la main d’un érudit ou d’un amateur célèbre, elles ajoutent du prix au volume ; si elles sont d’un inconnu, on les fait disparaître.

Mais, dit l’acte d’accusation, nous avons trouvé des estampilles grattées qui conservaient encore l’empreinte des timbres, d’autres effacées par des acides, laissant pourtant des traces assez distinctes pour qu’on reconnaisse que leurs contours et leurs dimensions s’appliquent aux cachets qui servent à marquer les livres dans certaines bibliothèques. Ainsi, « l’exemplaire de la Théséide saisi (je copie) porte sur le titre la trace circulaire d’une estampille noire effacée à l’aide d’un acide et qui semble s’adapter exactement à l’un des timbres de la bibliothèque ; elle semble s’adapter, parce que, sous l’action de l’acide, les contours de l’empreinte ont perdu leur netteté et leur précision. » Vous conviendrez que j’avais bien raison de dire qu’un relieur n’eût point été de trop parmi les experts. Il aurait appris tout d’abord qu’il n’y a point d’acide connu qui enlève une estampille apposée avec de l’encre d’imprimerie. Il aurait ajouté qu’après avoir lavé une feuille sale, on la fait passer sous une presse qui, en la satinant, altère nécessairement les contours de la trace d’une estampille. M. le juge d’instruction l’a bien soupçonné lui-même, et je le loue d’avoir dit semble s’adapter exactement, quoique cette association de mots ait été blâmée par quelques critiques. En attendant qu’on découvre un acide qui enlève les estampilles, on les fait disparaître au moyen du grattage ; mais, alors,