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On connaît maintenant l’œuvre de Nathaniel Hawthorne. Il ne nous reste qu’à jeter un dernier regard sur la physionomie de l’écrivain. Parmi les conteurs auxquels on peut le comparer, Charles Nodier et le romancier genevois Toppfer sont à nommer en première ligne. Seulement, il faut tenir compte des différences de milieu et d’éducation littéraire ; il faut reconnaître, par exemple que, s’il y a plus de sincérité philosophique chez Hawthorne, il y a chez Nodier une plus curieuse étude des effets de style, une ciselure grammaticale bien autrement soignée et savante, et aussi une raillerie plus légère, un goût plus exquis. Toppfer se meut dans un horizon plus borné que le romancier américain ; son imagination rase de plus près la terre ; elle n’a pas au même degré le don de poétiser tous les agens qu’elle emploie, soit un coq et un chat, comme le Chanticleer et le Grimalkin de la Maison aux sept pignons, soit une fontaine de carrefour comme celle qui coule à Salem, au coin des rues Essex et Washington, et dont le monologue babillard, traduit par Hawthorne, a retenti par toute l’Amérique. Il ne dispose pas surtout au même degré de ces épouvantemens que Hawthorne peut toujours produire et de cette fascination remarquable qu’il exerce sur le lecteur le plus rebelle.

Les contes de Hawthorne ne sont pas seulement intéressans comme révélation d’un talent original et hardi : ils sont pour nous un remarquable témoignage des efforts que tente en ce moment la littérature américaine pour se débarrasser de l’industrialisme qui l’étouffe. Aujourd’hui, dans cette société vouée uniquement, nous disait-on, au développement de sa grandeur matérielle, se produisent des penseurs et des poètes, acceptés au dedans et au dehors, populaires à Londres et à Édimbourg comme à Philadelphie ou à Boston. L’orgueil jaloux de l’ancienne métropole est forcé d’applaudir à ces nouvelles tentatives d’affranchissement, et, au lieu de ces hostilités sourdes et dédaigneuses pratiquées jadis contre toute provenance américaine, on remarque un sentiment de bienveillance, des habitudes de courtoisie internationale dont il faudrait peut-être chercher le secret ailleurs et plus haut que dans le progrès des sympathies purement littéraires. En effet, un des signes les plus caractéristiques du rapprochement que nous signalons a été le patronage de Thomas Carlyle à l’égard d’Emerson. Le rapide succès d’Hawthorne est un autre symptôme du même genre. Or Carlyle, Emerson, Hawthorne, appartiennent au même ordre d’esprits, à celui des libres penseurs en philosophie comme en politique : cette coïncidence ne mérite-t-elle pas d’être remarquée ?


E.-D. FORGUES.