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La société de Sainte-Cécile, sous la direction de M. Seghers, fait tous les jours de nouveaux progrès. Le public, qu’on a tant de peine à convertir aux bonnes choses qui sont nouvelles, commence à comprendre l’utilité d’une association d’artistes désintéressés qui s’efforcent de propager le goût de la grande musique sans autre rétribution que le denier que leur apportent les ames dévouées. Sans avoir nullement la prétention de lutter avec la société du Conservatoire, qui a déjà vingt-cinq ans d’existence et le bénéfice d’une tradition, l’association que dirige M. Seghers avec une activité infatigable est venue remplir une lacune, et offre, à des prix modérés, le plaisir d’entendre exécuter les chefs-d’œuvre de la musique instrumentale. Les cinquième et sixième concerts de la société Sainte-Cécile, qui ont été très brillans, avaient attiré dans la grande salle de la Chaussée-d’Antin un public nombreux et choisi.

Il vient d’arriver à Paris un violoniste du plus grand mérite, et qui a produit dans le monde musical une assez vive sensation. M. Bazzini est un Italien, comme il est facile de le reconnaître au caractère de sa physionomie, et mieux encore aux qualités qui distinguent son talent. Il chante, sur son violon d’une manière admirable, et de tous les violonistes qui se disputent depuis dix ou quinze ans l’héritage de Paganini, M. Bazzini nous semble être celui qui se rapproche le plus de son incomparable modèle ; mais tel est le danger de vouloir imiter ce qui appartient trop exclusivement à l’individualité d’un grand artiste, que M. .Bazzini n’a pu échapper aux inconvéniens du but qu’il s’est évidemment proposé. Il y avait dans Paganini, comme dans tout homme de génie, des qualités de style transmissibles qu’il est permis à tout le monde de s’approprier, parce qu’elles forment ce domaine de l’esprit humain dont chaque génération recule les limites ; mais, à côté de ces règles générales que Paganini avait reçues de ses prédécesseurs en les agrandissant, il a développé des singularités puissantes qui tenaient autant à une constitution physique exceptionnelle qu’au caractère de son génie. Or, il est bien rare qu’un imitateur, qu’il ne faut pas confondre avec un disciple, sache faire le bon partage dans la succession qu’il ambitionne ; presque toujours il s’efforcera de reproduire ce que la nature, dans ses manifestations infinies, n’aime à produire qu’une fois. Ces réflexions nous sont venues en entendant exécuter à M. Bazzini un morceau de sa composition, qu’il a intitulé la Danse des Sylphes, et où il semble qu’il ait voulu imiter les caprices adorables que faisait jaillir l’archet de Paganini en jouant le thème si connu du Carnaval de Venise. Cette imitation nous a paru malheureuse, car, lorsque M. Bazzini s’attaque exclusivement à des difficultés de mécanisme, le son est maigre, il manque d’ampleur et parfois de justesse. Que M. Bazzini reste donc dans la vérité de son talent, qu’il chante, qu’il développe la vive sensibilité dont il est doué, et alors il aura peu de rivaux à craindre comme violoniste de sentiment. Un enfant de douze ans à peine, digne du plus grand intérêt, M. Paul Julien, est aussi sur le violon un virtuose qui donne les plus belles espérances. Ce qui nous charme dans cet enfant précoce, qui est élève de M. Alard, professeur au Conservatoire, c’est qu’il est naturel, qu’il ne vise point à l’effet, ni à singer des émotions qui fort heureusement ne sont pas encore de son âge. Paul Julien est un enfant bien doué, qui joue du violon avec beaucoup de goût, de pureté et de justesse, et avec une bonne figure qui a l’air de vous dire : Je joue du violon, parce que cela m’amuse mieux que le jeu de la fossette. Le jeune Paul Julien appartient à une famille