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— Ah ! parlez donc, cher comte, s’il en est ainsi. N’attendez pas que tous ces jeunes mauvais sujets, à qui mon cœur et mes oreilles sont fermés, aient épuisé leurs fourberies et leurs mensonges. Pas un d’eux ne s’exprimera comme vous, et si je dois être la plus heureuse des femmes, à quoi bon ces retards ?

— Eh bien ! ne tardons point, chère Antonia. Je vous offre ma main et mon nom.

Le seigneur comte Emilio, — car c’était lui, — monta sur une chaise, et, passant sa tête au-dessus du paravent, dit au maître tourneur :

— Nicolò, je vous demande votre fille en mariage.

— Elle est à vous, répondit le père. Laissez seulement que j’achève cette boule de buis, et nous en causerons. Votre demande ne m’étonne point. Il me fallait un gendre comme vous.

Quand la boule de buis fut achevée, maître Nicolò sortit de sa cachette. Il trouva sa fille pleurant et riant tout ensemble, battant des mains et courant dans la chambre, s’asseyant pour reprendre haleine, se jetant au cou de son amant, et disant mille extravagances, où l’on sentait l’amour qui prenait feu dans son cœur comme le salpêtre.

— C’est donc sa tendresse pour vous, dit le père, qui galope ainsi ma fille ? Je vois que vous ferez ensemble un excellent ménage. Vous savez, cher Emilio, que je ne possède pas un sou vaillant ; mais, avec mon métier, je ne serai jamais à chargea personne. Arrangez les choses comme vous l’entendrez. Mariez-vous quand il vous plaira ; le mieux, — si vous m’en croyez, sera le plus tôt.

— Je voudrais que ce fût à l’instant même, répondit Emilio.

Ce fut au bout de vingt jours seulement que la fille du tourneur devint comtesse et reçut la bénédiction nuptiale à l’église des Santi-Apostoli, en présence d’une foule énorme de curieux et d’invités. La société de Rome admira fort la noble conduite du jeune mari et les graces de la mariée. Antonia, caressée par les belles dames, qui l’embrassèrent et lui parlèrent comme à leur égale, ne sentit que de la joie et de la reconnaissance en prenant son rang dans ce monde nouveau qui l’accueillait avec des sourires. Il y eut gala au palais de la rue del Babbuino, et l’on récita au dessert plus de trente sonnets et autres poésies. Les deux époux essuyèrent par bordées les souhaits, les complimens, les hommages et les promesses d’une éternelle félicité, comme si l’âge d’or eût recommencé sur la terre. On ne songea point à rire du bonhomme de père, qui ne s’étonna de rien et n’eut pas un moment d’embarras. Des feux du Bengale brûlèrent devant la façade du palais pendant toute la soirée. Un bal termina la fête, et, vers minuit, une chaise de poste emmena les époux à la campagne, car Emilio, fatigué du bruit que faisait son bonheur, éprouvait le besoin de se dérober au tumulte et de terminer cette journée par une sorte d’enlèvement.