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pour mon mari comme une injustice et un scandale, je vous avertis que ce scandale durera long-temps. Je ne prendrai pas même la peine de vous opposer mes principes et l’intérêt que j’ai à veiller un peu sur ma réputation en entrant dans un monde pour lequel je n’étais pas née. Je vous dirai simplement que je suis folle de mon Emilio. Ce n’est ni par vertu ni par calcul que je prétends lui rester fidèle, c’est parce que je l’aime avec passion, et, si l’on veut, je conviendrai qu’il n’y a pas de mérite à cela.

— Eh bien ! reprit Pompeo, permettez-moi donc de faire une supposition, car tout est possible : si Emilio cessait de vous aimer, s’il ne vous gardait pas cette fidélité, scrupuleuse…

— J’en mourrais de chagrin.

— Vous le croyez aujourd’hui ; mais l’occasion venue, s’il n’en arrivait rien ; si, après avoir bien souhaité la mort, bien pleuré, bien juré de ne vous consoler jamais, vous vous trouviez un beau jour vivante, en bonne santé, au bout de vos larmes, et disposée à accepter les consolations d’un cœur dévoué ?…

— Il est clair, répondit la comtesse, que si j’étais en disposition de vous écouter, je vous écouterais.

— Donc, reprit Pompeo, j’ai raison de m’inscrire d’avance comme le premier en date de vos admirateurs, le plus amoureux, le plus impatient et le plus méritant.

— Inscrivez-vous, répondit Antonia. Je vous donne acte de votre inscription, et maintenant parlons d’autre chose.


III

L’enchaînement de suppositions quel le bouillant Pompeo se plaisait à imaginer pour justifier ses espérances ne paraissait pas devoir se réaliser de si tôt. Emilio n’avait d’yeux que pour sa femme ; son amour offrait tous les symptômes d’une passion chronique et incurable. Jamais l’ombre d’un nuage entre les deux époux, jamais un dissentiment, jamais de ces querelles suivies de raccommodemens, signes ordinaires de lassitude et qui mènent à une rupture ou à l’indifférence. Antonia n’avait pas assez de fantaisies au gré de son mari, et ne lui fournissait point assez d’occasions de la satisfaire. Cependant, après avoir consenti à courir un peu le monde par complaisance, elle y prit goût ; aussitôt Emilio donna des fêtes splendides. La comtesse aimait la musique et la comédie ; Emilio loua des loges à l’année aux trois théâtres. Un jour, Antonia s’était amusée à regarder la collection particulière des bronzes du Vatican ; son mari n’eut point de repos qu’il n’eût fait une collection de bronzes antiques. Antonia remarqua une dame qui passait à cheval dans les allées de la villa Borghèse ; le lendemain