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qu’il lui faut. C’est tout simplement qu’elle ne peut pas vivre sans aimer.


IV

On se tromperait fort, si l’on pensait que la belle Frascatane avait donné son cœur par surprise, et qu’après le premier entraînement, elle tomba dans l’indécision ou les vains scrupules. L’amour nouveau avait absorbé l’ancien. Si l’impossibilité de convoler à d’autres noces avant l’expiration de son deuil ne lui eût rappelé son état de veuve, Antonia aurait cru volontiers que jamais elle n’avait aimé d’autre homme que Pompeo. Elle trouva la loi rigoureuse, et la perspective d’un an d’attente, qui n’aurait point effrayé des fiancés allemands, lui parut insupportable ; cependant, comme elle voulait vivre bien, elle se soumit à la nécessité. Par malheur, le beau Pompeo n’était qu’un médiocre platonicien. Des amis charitables avertirent tout bas sa fiancée qu’il avait des maîtresses. Antonia, trop exclusive pour fermer les yeux sur des infractions si graves à la foi jurée, éclata en reproches terribles et menaça son amant de se porter à quelque extrémité. Si le mariage eût été célébré, la Frascatane, avec ses instincts de lierre, aurait su étreindre et enlacer son époux de telle sorte qu’en peu de jours elle l’aurait dégagé de tout autre lien ; mais sa métaphysique n’allait guère plus loin que celle de Pompeo, et l’amour méridional ne se nourrit pas long-temps d’espérances et de promesses, encore moins de phrases et de madrigaux. Une première fois Pompeo apaisa la tempête. Le lendemain, ce fut à recommencer, grace aux délateurs officieux. Avec la confiance s’envolèrent la joie et les rires, avec la jalousie arrivèrent la tristesse, le désordre, l’insomnie, les sanglots et les larmes.

Les Italiens sont les gens qui pratiquent le plus exactement ce précepte que le caustique Stendhal formula en termes un peu vifs sur quelque papier de sa chancellerie de Civita-Vecchia, et dont il voulait faire, par exagération, une vérité universelle : qu’un jeune homme au-dessous de vingt-cinq ans, qui se trouve par hasard en tête-à-tête avec une jolie femme, ne fût-ce qu’un instant, manque à tous les devoirs de la politesse, s’il ne lui fait une déclaration d’amour.

Au bruit des querelles entre les deux fiancés, la jeunesse galante se ressouvint de son goût pour l’art ingénieux du tourneur. L’aimable veuve étant encore à consoler, on revint admirer les quilles et les échecs de maître Nicolò. Le premier qui se présenta fut un Narcisse de vingt-deux ans, ancien ami du défunt mari, et inscrit, comme Pompeo, sur la liste des amoureux-morts de la Frascatane. L’occasion s’offrit par hasard au seigneur Tancredi de parler à Antonia sans autre témoin qu’un père distrait, et il crut de son devoir d’obéir au précepte rigoureux de Stendhal. — Qu’ai-je appris ? s’écria-t-il, quelle rumeur ai-je entendue, ô divine