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recrues que les mandarins ont placées à l’avant-garde. Les Chinois se précipitent à la suite de ces féroces phalanges ; mais, averties par la fusillade, les troupes anglaises avaient pris les armes. Au moment où les Miao-tsis allaient déboucher sur la place du marché, ils rencontrent une compagnie d’infanterie qui leur barre le chemin. C’est en vain qu’ils essaient de répondre avec leurs arquebuses à mèches à la mousqueterie des Anglais ; cédant bientôt à ce feu supérieur, ils fuient de rue en rue et cherchent à regagner la campagne. De nouvelles masses conduites par les mandarins les repoussent sur l’ennemi. À l’arrière-garde, on se croit encore vainqueur ; on se presse avec de grands cris, on marche en avant avec toute l’ivresse du succès ; les premiers rangs, en proie à une terreur panique, font pour fuir d’incroyables efforts. Une multitude innombrable se trouve ainsi entassée par deux courans contraires dans la rue la plus large et la plus droite de Ning-po. Un obusier de montagne est braqué sur ce mur vivant. Trois volées tirées à mitraille le foudroient à la distance de vingt ou trente mètres. En quelques minutes, la rue est encombrée d’un monceau de cadavres ; le canon ne trouve plus un ennemi debout. Cependant les soldats anglais ont franchi cette sanglante hécatombe, et un feu de deux rangs ajoute encore à tous ces morts et à tous ces blessés de nouvelles victimes.

On s’est demandé souvent, — la chambre des communes s’est elle-même posé cette question, — pourquoi le commerce européen n’avait pu prendre racine à Ning-po ? Vivement sollicitée par les négocians anglais, l’ouverture des cinq ports[1] fut impérieusement exigée, en 1842, par sir Henri Pottinger. À Ning-po, en particulier, tout semblait justifier les espérances du plénipotentiaire. L’entrée de la Ta-hea ne présente point de difficultés sérieuses. Les navires marchands du plus fort tonnage peuvent arriver, grace à la marée, jusque sous les murs de Ning-po. Les deux rivières au confluent desquelles est assise cette grande ville traversent les districts où se récolte la soie et ceux d’où viennent les meilleurs thés verts. Les conditions du marché ne sont donc pas moins favorables à Ning-po qu’à Shang-hai ; mais, bizarre anomalie qui confond l’observateur européen, c’est de Shang-hai et de Sou-tcheou-fou que la population de Ning-po reçoit les draps étrangers qu’elle consomme. Dans ce dernier port, la valeur des importations directes n’a jamais dépassé 300,000 francs, et le chiffre des exportations atteignait à peine, en 1849, 3,000 piastres. Mgr Lavaissière croyait que le massacre du 10 mars 1842 n’était point étranger à la

  1. Canton, Amoy, Fou-tchou-fou, Nin-po et Shang-hai.