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eux, et leur œuvre ne s’évertue à reproduire que le mysticisme de leur propre pensée et la rêverie de leur ame. S’il me fallait un trait d’union entre les deux tendances, j’indiquerais Mendelssohn, ce Lessing de la musique, comme on l’a très spirituellement nommé en Allemagne. Cette empreinte philosophique, cet idéalisme abstrait qui marque si profondément les chefs-d’œuvre des Bach, des Beethoven et des Cherubini, empêchera toujours ces maîtres de se mouvoir en dehors du sanctuaire ; forcément leur grandeur les attache au rivage. Pour le public, ils seront toujours, quoi qu’on fasse, des aristocrates dans l’acception la plus magnifique du mot : — aristocrates comme Michel-Ange, Goethe, Aristote et Bossuet. Connaissez-vous beaucoup de mélodies de Beethoven qui soient sorties de l’enceinte consacrée pour se répandre dans la multitude ? Prenez la chanson de Claire dans Egmont : Freudvoll und leidvoll, en poésie un des motifs les plus populaires qu’il y ait en Allemagne ; Beethoven la met en musique, et personne au monde ne s’en doute, si ce n’est dans cette classe de gens qui fréquentent les conservatoires et s’occupent du transcendental. Singulier privilège, inhérent à ce génie superbe, de dépopulariser, même par un chef-d’œuvre, ce qui de sa nature allait au plus grand nombre, de telle sorte qu’on dirait une monnaie courante changée en or et s’emprisonnant sous triple clé dans la cassette avare du collectionneur de médailles ! Maintenant, tournez-vous du côté de Schubert ; celui-là emprunte au chantre de Wallenstein sa Thécla, pour en faire le sujet de deux inimitables rêveries, et bientôt le type musical se répand à ce point qu’il refoule dans l’ombre le type littéraire, l’original, que beaucoup désormais prennent pour la copie. Ainsi de Mozart ; où ses motifs n’ont-ils pas pénétré ? Il s’est inspiré de la muse populaire, et c’est aujourd’hui sa propre inspiration qui survit seule. L’air traditionnel a disparu, ne laissant subsister que la version du maître.

Il est vrai que Mozart et, avant lui, Haydn ne cessèrent de rester en rapport avec leur temps, qu’ils en observèrent les besoins et les goûts, et qu’ils eurent même pour ses caprices et ses modes de ces indulgences et de ces faiblesses auxquelles se refusent jusqu’à la fin ces ames altières plus exclusivement tournées vers le culte de l’idéal. On sait combien d’opérettes, de marches, de sarabandes, de gavottes et d’improvisations de toute espèce dans le goût du jour Haydn a composées ; quant à Mozart, la recherche du succès fut très souvent la cause d’étranges modifications dans ses plus importans ouvrages, témoin ces quatre ou cinq morceaux de la Flûte enchantée dont il changea le style et qu’il transcrivit sur des motifs courans en vue de la popularité ; exemple que devait suivre plus tard Rossini, lequel, écrivant sa Sémiramide pour le théâtre de la Fenice, trouva moyen, pour faire sa cour au peuple des lagunes, d’introduire dans un duo chanté par la reine d’Assyrie et son