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l’énergique expression que Swift appliquait aux Anglais ; mais c’est à coup sûr un animal intellectuel qui aime à vivre, comme la salamandre, au milieu de toutes les flammes de la pensée, et qui s’y brûle parfois. Aussi, plus qu’en tout autre pays, existe-t-il un lien nécessaire et permanent entre nos œuvres de tout genre, — histoire, philosophie, roman, poésie, théâtre, — et le développement de nos destinées. Chacune de nos périodes historiques a sa littérature qui la caractérise, la commente ou la prépare ; c’est souvent en effet par des mouvemens de l’intelligence plus encore que par un profond mouvement social et politique que s’expliquent la plupart de nos révolutions. Que d’imaginations simplement passées de nos livres dans la réalité ! que de réhabilitations capricieuses des plus lugubres folies, qui ont eu leur retentissement dans les faits contemporains ! que de déclamations qui ont essayé de prendre corps ! Ne serait-il pas bien temps pour la littérature de travailler dans un autre sens et de réparer quelques-unes des ruines qu’elle a faites ? D’autant plus qu’elle se rajeunirait elle-même dans cet effort nouveau ; elle retrouverait sa fécondité et son ascendant au contact du vrai et d’une inspiration plus saine. L’ardeur qu’elle a mise à fausser les jugemens, à défigurer l’histoire, à travestir le monde moral, pourquoi ne la mettrait-elle pas à rectifier les erreurs, à réveiller quelque élan généreux, à remettre en honneur les mâles et simples vérités ? Le moment actuel n’a point encore sa littérature, cela se conçoit. C’est plutôt une sorte de liquidation du passé qui se fait. Ce sont des collections d’articles d’autrefois, des œuvres de la veille qui se poursuivent, ou quelques essais de circonstance. Au fond, cependant, il ne serait point difficile peut-être d’apercevoir les changemens d’idées qui s’accomplissent, à la différence des appréciations qui se font jour depuis quelques années. Voyez l’époque révolutionnaire : il y a dix ans à peine, on n’y touchait que pour la réhabiliter. En plein parlement, les orateurs monarchiques faisaient honneur à la convention d’avoir sauvé le pays de l’invasion étrangère. Voici une œuvre, — l’Histoire de la Convention nationale de M. de Barante, commencée après février et continuée aujourd’hui par la publication d’un volume nouveau, — qui a justement pour but de prouver que la convention n’a point sauvée du tout le pays, et qu’elle l’eût infailliblement perdu, si elle avait pu le perdre. M. de Barante raconte cette époque avec une simplicité qui rend plus sensible encore ce qu’il y a de terrible et d’odieux. Une des époques qui nous ont toujours semblé les plus curieuses à étudier dans un autre sens et les plus dignes d’estime, c’est la restauration. M. de Lamartine poursuit son histoire sur cette période, déjà presque ancienne pour nous. Le malheur de M. de Lamartine, c’est de paraître toujours se contempler lui-même et se bercer de sa propre parole, au lieu d’être préoccupé du temps dont il retrace le tableau. Quelque mérite qu’il y ait dans ce nouveau volume qui vient de paraître, de quelque éclat que soient revêtues certaines pages de l’Histoire de la Restauration, on se dit encore pourtant que ce n’est point là peut-être le genre de description et de peinture propre à une telle époque, et ce défaut est destiné sans doute à devenir plus visible à mesure que le brillant auteur s’éloignera des scènes puissantes et grandioses de 1814 et de 1815. Il y aura des parties que M. de Lamartine traitera toujours supérieurement, mais en même temps que de nuances, que de détails, que de côtés réels disparaîtront sous sa plume ! C’est surtout dans la littérature plus