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légère que se fait sentir la stagnation intellectuelle qui est un des signes les plus palpables de notre temps. Ni le roman ni la poésie ne se sont relevés encore du coup que leur a porté la révolution de février. — Le théâtre est-il plus heureux ? Nous n’oserions point en donner pour preuve complète le Bonhomme jadis de M. Henry Murger, représenté récemment au Théâtre-Français. M. Henry Murger est un des écrivains qui ont réussi auprès du public en prenant pour thème la jeunesse, la vie des écoles, la bohême comme on dit. Il a assez de talent pour éviter les écueils naturels de ces sortes de sujets, mieux peut-être qu’il ne l’a fait dans son œuvre récente. C’est un des jeunes esprits d’aujourd’hui qui, en dirigeant leur inspiration, peuvent le mieux arriver au succès.

Il paraît que ce que nous disions l’autre jour du Piémont a eu le privilège d’exciter quelque curiosité à Turin. Il y a eu même d’assez hauts personnages désignés comme pouvant bien n’être point étrangers à nos observations : ils en sont bien innocens à coup sûr ; mais ce qui est plus précieux, c’est qu’ils ne s’en défendent que tout juste pour laisser croire à quelque secrète complicité. Passons à quelque chose de plus sérieux. Le Piémont vient de perdre un de ses hommes publics les plus éminens, M. le commandeur Pinelli, président de la chambre des députés, et qui était encore dans la force de l’âge. M. Pinelli était l’un des chefs du parti conservateur ; c’était un constitutionnel sincère, zélé et modéré, dévoué au roi et au statut. La confiance de ses collègues le portait périodiquement à la présidence de la chambre des députés depuis quelque temps. C’est là une vie politique assez comte : elle ne date que de 1848 ; d’après ses amis, elle se serait terminée à la suite d’une de ces émotions que causent souvent les injustices des partis dans les pays libres. M. Pinelli avait été l’objet des plus violentes attaques de la part de M. Gioberti dans son dernier livre. Beaucoup d’autres avaient répondu à M. Gioberti, lui seul n’avait rien dit ; il se souvenait d’avoir été sur le pied de la plus étroite intimité avec le publiciste piémontais, et la blessure était d’autant plus vive. La mort de M. Pinelli a été une douloureuse diversion dans la politique à Turin. La situation du Piémont en elle-même n’a point empiré depuis quelques jours ; elle ne s’est point améliorée. Peut-être est-on moins préoccupé aujourd’hui de politique pure que de finances et des nouveaux impôts qui vont faire peser sur ce petit pays des charges énormes. C’est par là probablement que le cabinet de Turin se verra en butte à de nouveaux assauts, si, comme on l’annonce, M. le comte de Revel, ancien ministre, doit prendre la parole contre les projets du gouvernement. En dehors des impôts, le sujet de toutes les conversations est la loi sur le chemin de fer de Turin à Suze, au pied du Mont-Cenis. Le gouvernement a fait une convention avec des entrepreneurs anglais pour la construction de ce chemin. La commission parlementaire repousse cette convention et offre de voter des fonds pour commencer les travaux ; mais le ministre, à son tour, n’accepte point ce système. Il est donc facile de prévoir des débats animés. L’essentiel pour le Piémont, c’est qu’ils n’entravent pas cette œuvre importante, comme aussi rien ne serait plus heureux que la réalisation des projets annoncés récemment par le ministre des finances, et qui consistaient à faire un chemin de fer destiné à mettre Turin et le reste du Piémont en communication directe avec la France. Les rapports des deux pays y puiseraient un degré nouveau d’activité. Ce serait une satisfaction de plus pour ces intérêts