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se voulant ensevelir à quinze ans dans un cloître, et une fois jetée malgré elle dans le monde s’y laissant enivrer de ses succès, devenant l’ornement de la cour de Louis XIII et de l’hôtel de Rambouillet, effaçant déjà les beautés les plus accomplies par le charme particulier d’une douceur et d’une langueur ravissante, prêtant l’oreille aux doux propos, mais pure et libre encore, et s’avançant, ce semble, vers la plus belle destinée, sous l’aile d’une mère telle que Charlotte de Montmorency, à côté d’un frère tel que le duc d’Enghien.

Je conviens que ce tableau d’une jeunesse brillante mais heureuse, sans aventures et sans taches, pourra sembler un peu fade à des lecteurs accoutumés au grand fracas et aux péripéties violentes des romans à la mode. Pour les dédommager, je pourrai leur offrir un jour un autre tableau d’un goût plus relevé. Après la jeune fille grandis, grandissant innocemment entre la religion et les muses, comme on disait autrefois ; je leur ferai voir, s’ils le désirent, la jeune femme paraissant à son tour dans l’arène, de la galanterie, semant autour d’elle les conquêtes et les querelles, et devenant le sujet du plus illustre de ces grands duels qui pendant tant d’années ensanglantèrent la Place-Royale et ne s’arrêtèrent pas même devant la hache implacable de Richelieu. Ce seraient là des scènes suffisamment animées ; mais, en attendant la tragi-comédie, souffrez, s’il vous plaît, la pastorale. C’était alors un intermède obligé, et je vous supplie de prendre un moment avec moi le goût et les mœurs du XVIIe siècle.

Anne Geneviève de Bourbon vint au monde le 28 août, 1619, dans le donjon de Vincennes, où, son père et sa mère étaient prisonniers depuis trois ans.

Sa mère était Charlotte-Marguerite de Montmorency, petite-fille du grand connétable, et selon, d’unanimes témoignages la plus belle personne de son temps. Éblouissante dans sa première jeunesse, elle avait conservé jusque dans l’âge mûr une beauté remarquable. Indépendamment de ses nombreux portraits, nous en avons deux descriptions fidèles, l’une du cardinal Bentivoglio, qui la connut et l’aima, dit-on, à Bruxelles, où il était nonce apostolique en 1609, lorsqu’elle avait à peu près seize ans ; l’autre de la main de Mme de Motteville, qui l’a dépeinte telle qu’elle la vit plus tard à la cour de la reine Anne« Elle avoit le teint, dit Bentivoglio[1], d’une blancheur extraordinaire, les yeux et tous les traits pleins de charme, des graces naïves et délicates dans ses gestes et dans ses façons de parler, et toutes ses différentes qualités se faisoient valoir les unes les autres, parce qu’elle

  1. Nous empruntons la traduction que Villefore a donnée de cette partie de la relation italienne du cardinal. Villefore, la Vie de Mme la duchesse de Longueville, 1738, Ire partie, p. 22.