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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/620

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ait reçue, et en le préparant à pouvoir prendre à vingt et un ans le commandement en chef de l’armée sur laquelle reposaient en 1643 les destinées de la France.

Lorsque Henri de Bourbon, qu’on appelait M. le Prince, fut arrêté, il ne fit qu’une seule prière, que lui dictaient la jalousie et l’amour : il demanda qu’il fût permis à sa femme de partager sa prison. Charlotte de Montmorency avait à peine vingt et un ans, elle n’aimait pas son mari, et ils ne vivaient pas très bien ensemble ; mais, elle n’hésita point, et vint elle-même supplier le roi de lui permettre de s’enfermer avec son mari, en acceptant la condition de rester prisonnière tout le temps qu’il le serait : Cette captivité, d’abord très dure à la Bastille, puis un peu moins rigoureuse à Vincennes, dura trois années. La jeune princesse fut souvent malade ; elle eut plusieurs grossesses malheureuses, et accoucha d’enfans mort-nés[1]. Enfin, le 28 août 1619, entre minuit et une heure, elle mit au monde Anne-Geneviève.

  1. Nous trouvons sur tout cela des détails nouveaux et curieux dans un Journal historique et anecdote de la Cour et de Paris, au t. XI, in-4o, des manuscrits de Conrart conservés à la bibliothèque de l’Arsenal. Ce journal inédit commence au 1er janvier 1614 et va jusqu’au 1er janvier 1620.
    M. le Prince est arrêté le 1er septembre 1616 par ordre du maréchal d’Ancre, favori de la reine régente Marie de Médicis.
    « Le 11 de septembre, Mme la jeune Princesse arrive fort affligée. On dit que M. de Montmorency fut mal content de ce que la reine ne lui voulut pas permettre de voir M. le Prince.
    « Le 19 mai 1617, M. le Prince fait supplier le roi de faire une œuvre charitable en lui faisant bailler sa femme, à la charge qu’elle demeureroit prisonnière avec lui.
    « 26 mai 1617. Mme la princesse de Condé va saluer le roi et le supplier de lui vouloir permettre d’entrer prisonnière dans la Bastille avec M. le Prince. Le roy le lui accorde, et d’y mener seulement une damoiselle. Sur quoy son petit nain ayant supplié le roy de trouver bon qu’il n’abandonnât pas sa maîtresse, sa majesté le lui permit aussi. La mesme après-dînée, Mme la Princesse entra dans la Bastille, où elle fut reçue de M. le Prince avec tous les témoignages d’amitié qui se peuvent imaginer, et jusques-là qu’il ne la laissa jamais en repos qu’elle lui eût dit qu’elle lui pardonnoit. » - Dans ce même journal, il a été souvent question de la mauvaise conduite du prince envers sa femme, sur laquelle il n’y a pas un seul mot de blâme.
    « 31 aoust 1617. Entreprise pour sauver M. le Prince de la Bastille découverte. »
    « 15 septembre 1617. M. le Prince mené de la Bastille au bois de Vincennes. Long-temps auparavant il avoit demandé que l’on le mit au bois de Vincennes pour y avoir meilleur air. M. de Modène lui dit que se souvenant de cela, il avoit tant pressé le roy sur ce sujet, qu’enfin il l’avoit obtenu. M. le Prince répondit que, depuis il s’estoit accoustumé à l’air de la Bastille ; et sur ce résista le plus qu’il put, jusqu’à ce qu’il fallust aller. Mme la Princesse alla aussi avec lui en carrosse, n’ayant voulu entrer en litière. On dit qu’au commencement M. le Prince croioit seulement qu’on lui vouloir oster sa femme. M. de Vitry, M. de Persan, M. de Modène, étoient avec lui dans le carrosse. Depuis qu’il a esté dans le bois de Vincennes, on lui a permis, environ le commencement d’octobre, de se promener sur l’épaisseur d’une grosse muraille qui est en forme de galerie. M. de Persan est demeuré dans le donjon du bois de Vincennes pour garder M. le Prince avec la plus grande partie des soldats qu’il avoit omis la Bastille, et M. Cadenet, avec douze compagnies du régiment de Normandie, fait garde dans la cour du chasteau, d’où les soldats ne sortent pas. »
    « Environ le 20 décembre 1617. Mme la Princesse très malade. Elle accouche dans le bois de Vincennes, à sept mois, d’un fils mort-né, et fut plus de quarante-huit heures sans mouvement ni sentiment. Jamais personne n’a été en une plus grande extrémité sans mourir. Entre autres médecins, M. Duret et M. Pietre l’assistèrent avec un soin extrême. Sur ce que M. le Prince désiroit qu’on fit des obsèques à ce petit enfant, M. l’évèque de Paris assembla des théologiens, lesquels jugèrent que, puisque n’ayant point receu le baptesme il n’estoit point entré en l’église, on ne devoit user d’aucunes cérémonies sur le sujet de sa mort. » « 5 septembre 1618. Mme la Princesse accouche de deux garçons morts. Le roy en témoigna un très grand déplaisir. Plusieurs personnes eurent permission de l’aller voir. »
    « 21 mars 1619. M. le Prince tombe malade. Mardi, 2 avril, MM. Hatin, Duret et Seguin vont au Louvre représenter l’estat de la maladie. La cause en estoit attribuée à profonde mélancolie. Il fut tenu plusieurs jours hors d’espérance. Il fut permis à Mme sa mère, à Mme la comtesse, à Mme de Ventadour, à Mme la comtesse d’Auvergne, à Mme de la Trémoille, à Mme de Fontaines, à Mme la Grande, etc., de l’aller visiter. Le lundi 8 avril, le roy lui renvoyer son espée par M. de Cadenet, et lui escrit « Mon cousin, je suis bien fasché de votre maladie. Je vous prie de vous resjouir. Incontinent que j’aurai donné ordre à mes affaires, je vous donnerai vostre liberté. Resjouissez-vous donc, et ayez assurance de mon amitié. Je suis, etc. »
    « 28 aoust 1619. Entre minuit et, une heure, Mme la Princesse accouche d’une fille dans le bois de Vincennes. »
    « 17 octobre 1619. Conseil tenu, où l’on prit la dernière résolution de faire sortir M. le Prince. »
    « Le 18. Le roy va à Chantilly pour y attendre M. le Prince. » « Le 19. M. de Luynes va trouver M. le Prince au bois de Vincennes. » « Le 10. M., de Luynes va de bon matin au bois de Vincennes, et monte en carrosse avec M. le Prince et Mme la Princesse, où étoient aussi M. de Cadenet et de Modène. Il vint trouver le roy à Chantilly, et le vit dans un cabinet où l’on dit qu’il se mit à genoux et fit des protestations extrêmes de fidélité et de ressentiment de l’obligation qu’il luy avoit. »
    « Le 22. Le roy revient à Compiègne accompagné de M. le Prince. Mme la Princesse y arriva et vit la reyne le même jour. »