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Saint-Jacques à la rue d’Enfer, et il avait fini par embrasser, avec toutes ses dépendances, le vaste espace qui du jardin et de l’enclos du séminaire oratorien de Saint-Magloire, aujourd’hui les Sourds-Muets, monte jusqu’aux bâtimens occupés maintenant dans la rue Saint-Jacques et dans la rue d’Enfer par la brasserie du Luxembourg. Il y avait deux entrées, l’une par la rue Saint-Jacques, l’autre par la rue d’Enfer. L’entrée de la rue d’Enfer subsiste au n° 67, et elle est encore aujourd’hui ce qu’elle était il y a deux siècles. Elle introduisait dans la cour actuelle, qui servait de passage public pour aller dans la rue Saint-Jacques. Presque en face, un peu à droite, était l’église ; un peu plus à droite encore, sur les terrains où l’on a ouvert la rue toute nouvelle du Val-de-Grace, étaient de vastes jardins avec de nombreuses chapelles, le monastère même, et, tout-à-fait sur la rue d’Enfer, l’infirmerie et les appartemens réservés à certaines personnes. De l’autre côté, à gauche, vers Saint-Magloire, étaient divers corps de logis et des maisons dépendantes du monastère.

Mais le couvent n’avait pris ces accroissemens qu’avec le temps.

Le premier emplacement de la communauté avait été l’ancien prieuré de Notre-Dame-des-Champs, dont l’église était du temps de Hugues Capet, et une vieille tradition la disait établie sur les ruines d’un temple de Cérès, où s’était jadis réfugié saint Denis lorsqu’il prêchait l’Évangile à Paris. Du moins, des fouilles faites en 1630 firent paraître des restes d’antiquités païennes. Un certain merveilleux était donc déjà autour de l’établissement nouveau au commencement du XVIIe siècle[1].

  1. Voyez Malingre, les Antiquités de la ville de Paris, in-fol., Paris, 1640, p. 152 et 153, et de plus, p. 501 et 503, Nouveaux Mémoires concernant la maison des carmélites ; quelques lignes dans l’Histoire de la Ville de Paris de Félibien et de Lobineau, t. II, p.1268-1271, et quelques titres au t. III des Preuves et Pièces justificatives, p. 144. Sauval contient à peine une page sur les Carmélites, t. Ier, p. 450. Ce qu’il y a de mieux sur ce couvent se trouve dans les Curiosités de Paris, 1771, t. Ier, p. 459-463. Nous en tirons la description suivante de l’église : « Quoique le corps du bâtiment de cette église soit très antique, elle ne laisse pas d’être une des mieux décorées de Paris. Le grand autel est formé de quatre colonnes de marbre, et fort élevé sur un degré de douze marches très ingénieusement posées, accompagné de balustrades de marbre. Tous les ornemens de cet autel sont de bronze doré au feu ; le tabernacle, qui représente l’arche d’alliance, est tout d’argent ; le bas-relief du devant est travaillé dans la perfection, et représente l’Annonciation. Rien n’est plus somptueux que cet autel les jours de fête vous y verrez un soleil enrichi de pierreries d’un très grand prix, accompagné de chandeliers, de vases et d’autres pièces d’orfèvrerie, dont la quantité égale la magnificence. Le tableau est du Guide, et représente l’Annonciation.
    « Le chœur est séparé de la nef par quatre belles colonnes de marbre vert de mer, chargé de flammes de bronze doré d’une beauté et d’une grandeur merveilleuse. Le crucifix de bronze que vous voyez sur la porte est un des meilleurs ouvrages et des plus estimés que Sarrazin ait jamais sculptés.
    « La voûte de l’église, où plusieurs histoires de l’Écriture sainte sont représentées, a été peinte par Champagne des libéralités de Marie de Médicis. Observez-y un excellent morceau de perspective du dessin des orgues : c’est un crucifix avec la sainte Vierge et saint Jean, si artistement peints par le même Champagne, qu’à l’entrée de l’église ils vous paraîtront sur un plan perpendiculaire, quoique horizontal, ce qui fait un effet aussi agréable que singulier.
    « Au-dessus de la porte de cette église, il y a une belle tribune grillée, accompagnée des statues de saint Pierre, de saint Paul et de saint Michel qui terrasse le diable.
    « Toutes les chapelles sont magnifiques : les belles peintures et la dorure y brillent de tous côtés ; la propreté et le bon goût règnent partout.
    « Les douze tableaux ornés de bordures dorées, qui sont placés sous les fenêtres, représentent des sujets tirés du Nouveau Testament, et ont été peints par de très habiles maîtres. Le premier, à droite en entrant, représente la Résurrection de Lazare ; le second, la Circoncision de Notre-Seigneur ; le troisième, l’Adoration des mages ; le quatrième, l’Assomption de la sainte Vierge ; le cinquième, la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres ; le sixième, la Naissance de Notre-Seigneur. Ces six tableaux ont aussi été peints par le célèbre Champagne, et sont très estimés. De l’autre côté, le premier représente le Miracle des cinq pains, par Stella ; le second, la Madeleine aux pieds de Notre-Seigneur chez Simon le pharisien : c’est un des plus excellens ouvrages du fameux Le Brun ; le troisième, l’Entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem le jour des Rameaux, par de La Hire ; le quatrième, Jésus-Christ assis sur le bord du puits de Jacob, parlant à la Samaritaine, par Stella ; le cinquième, Jésus-Christ servi dans le désert par les anges : il est aussi de Le Brun ; le sixième, l’Apparition de Notre-Seigneur aux trois Marie, par de La Hire.
    « Vis-à-vis le chœur des religieuses, observez le grand tableau qui représente l’Annonciation : c’est un excellent ouvrage du Guide, qui l’avait peint pour la reine Marie de Médicis.
    « Remarquez ensuite la chapelle de Sainte-Marie-Madeleine : elle est des plus ornées. Vous y verrez la statue du cardinal de Bérulle, faite en marbre par Sarrazin en 1657 : elle est élevée sur un piédestal de marbre, où sont d’excellens bas-reliefs de Lestocart, sculpteur renommé. Ces bas-reliefs représentent le saint sacrifice de la messe et celui que Noé fit lorsqu’il fut sorti de l’arche. Vous verrez aussi dans cette chapelle, tout embellie de peintures, un admirable tableau qui est estimé le plus parfait que le fameux Le Brun ait jamais peint ; il représente la Madeleine dans la pénitence. La douleur et le repentir sont si vivement exprimés dans cette figure, et l’habileté de cet excellent maître si fortement prouvée par tous les accompagnemens, que vous ne pouvez rien voir de plus achevé et de plus parfait. La vie de cette sainte est représentée dans les lambris de cette belle chapelle. »