Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/665

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cherchez bien ce qui peut se cacher sous cette rare et précieuse découverte : — c’est le droit au travail américanisé, le droit à l’oisiveté et au vagabondage, justement proclamé en même temps que l’affranchissement subit et instantané des noirs. Est-ce donc qu’il y eût beaucoup d’esclaves dans la Nouvelle-Grenade ? Non, il en restait à peine dix mille, et le nombre diminuait chaque jour par l’effet lent et bienfaisant d’une loi de 1821, dite de manumission, qui déclarait libres les enfans à naître, sauf à ne jouir de leur liberté qu’après dix-huit ans, — et affectait un fonds spécial prélevé sur les successions à l’affranchissement progressif des autres esclaves. Au lieu de cette émancipation sage et mesurée, voici donc dix mille citoyens libres qui, à dater du 1er janvier 1852, travaillent au triomphe de la vraie démocratie par la maraude et l’exercice du droit à l’assistance ! Un signe certain par où se manifeste l’apparition du socialisme, c’est le relâchement des peines, lesquelles sont fort nuisibles, on en conviendra, à la liberté. La peine de mort a été solennellement abolie dans la Nouvelle-Grenade, et il a été même promulgué une loi de procédure qui, combinée avec l’absence de détention préventive, atteint à de merveilleux effets. D’après cette loi, toute instruction sur un crime ou un délit serait ajournée, dans le cas où le prévenu commettrait un nouveau méfait, jusqu’à parfaite instruction de la dernière affaire : d’où il suit que celui qui s’est rendu coupable d’un premier crime, pour éviter un jugement, n’a qu’à en commettre un deuxième, puis un troisième, et ainsi successivement. Ces étranges législateurs ont réussi à faire de la persévérance dans le crime la garantie de l’impunité et le bouclier de la liberté individuelle : miracle de cette « épopée de la civilisation » décrite avec l’orgueil d’un enthousiasme quelque peu burlesque par le rédacteur-poète de la Gazette officielle de Bogota.

Et ce n’est pas seulement dans l’ordre civil que s’exerce le socialisme néo-grenadin ; il a les visées plus profondes ; il a conçu l’idéal des religions nouvelles d’après nos romans et nos brochures. On ne saurait croire à quel point le Juif errant de M. Sue a été une source de révélations religieuses pour le général Lopez et les initiés démocratiques de Bogota. Il a été surabondamment démontré que tout jésuite poursuivait une œuvre souterraine d’absolutisme et de gothisme en enseignant à lire et à écrire aux enfans, qui n’ont pas toujours là des maîtres laïques. Le Juif errant est le véritable auteur de l’expulsion des jésuites de la Nouvelle-Grenade. Aujourd’hui, c’est l’élection appliquée à la formation du clergé paroissial. Les prêtres se trouvent soumis à la juridiction civile pour les actes même de leur ministère, sous le prétexte de l’abolition du fuero ecclesiastico. C’est ce qui s’appelle démocratiser l’église, la mettre en harmonie avec le progrès humain et faire « le clergé citoyen. » Il nous faut des évêques libéraux, s’écrie la Gazette