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Voilà le but que se proposa l’école transcendentaliste, telles étaient ses tendances ; mais avant que Marguerite fût devenue l’ame de cette école, on peut dire qu’elle n’existait pas. Ces jeunes gens passionnés et instruits se trouvaient tous avoir les mêmes tendances et le même esprit, mais ils étaient séparés les uns des autres par la distance, par la profession, par le caractère ; ils offraient comme les membres et les fragmens épars d’une école. Marguerite les réunit tous autour d’elle, et, selon un mot d’Emerson, elle les portait en quelque sorte suspendus à son cou comme un collier de diamans. À ses côtés vinrent se grouper à diverses reprises le docteur Channing, Emerson, Théodore Parker, le romancier Nathaniel Hawthorne, le poète Dana. L’influence que sa conversation a pu avoir sur eux n’est pas contestable, mais elle n’est pas exactement appréciable. Probablement Marguerite fut la pierre de touche où ils vinrent tous essayer la valeur de leur pensée, heureux lorsqu’ils s’en retournaient convaincus qu’elle n’était point d’un faux métal. Probablement elle fit cesser en eux tous les doutes que chacun porte en soi sur la direction qu’il a donnée à sa pensée ; elle les confirma dans leurs idées, les engagea plus profondément encore qu’ils n’auraient osé s’engager eux-mêmes dans leurs opinions, fit pénétrer en eux la conviction que leurs instincts étaient vrais, et qu’ils ne s’étaient point trompés. Nous n’avons d’autre témoignage de cette influence que les admirations de ses amis, mais celui-là suffit pour nous montrer combien elle fut profonde. C’est là une de ces forces incalculables et dont les témoignages écrits, quelque nombreux qu’ils fussent, ne pourraient donner qu’une faible idée, car c’est une de ces forces qui agissent, non pas sur l’intelligence abstraite et analytique, comme peut le faire un livre, mais directement, sur l’être vivant tout entier, sur son intelligence, son imagination, ses sens même, qui défient le scepticisme et empêchent l’analyse, car elles éclairent avec la rapidité subite d’un météore et frappent, si nous pouvons nous exprimer ainsi, avec tout l’inattendu de la foudre. C’est une de ces forces contre lesquelles la volonté ne peut rien, qui se saisissent de l’ame et l’enserrent dans d’invisibles filets. Outre cette influence insaisissable, que nous comprenons très bien, mais dont il est impossible de montrer les effets précis, Marguerite en eut une plus matérielle en quelque sorte, elle aida l’école de sa plume et de son talent ; elle fonda dans l’été de 1840, avec la coopération d’Emerson et du docteur George Ripley, le journal intitulé the Dial (le Cadran), destiné à soutenir les principes de leurs amis communs. Elle en était l’éditeur et le principal collaborateur ; elle y dévoua sa vie et y sacrifia ses intérêts, car à cette époque Marguerite, pressée par les besoins urgens de sa famille, avait été obligée de faire argent de ses études et de son talent, tantôt en se faisant maîtresse d’école, tantôt écrivain et journaliste. Néanmoins elle s’était chargée