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d’éditer le Dial moyennant une somme modique, qui ne lui fut jamais payée complètement, et elle n’abandonna le journal qu’en 1844, alors qu’elle se rendit à New-York, sur les instances d’Horace Greeley.

Malgré ses relations intimes avec les transcendentalistes, Marguerite n’adoptait pas toutes leurs idées, et sa sympathie pour eux n’alla jamais jusqu’à s’oublier elle-même. Elle avait trouvé en eux des hommes tels qu’elle les avait toujours rêvés, mais elle se crut toujours supérieure à eux. Elle était à la fois moins et plus avancée qu’eux. Elle ne croyait pas autant à la puissance de la logique pour changer certaines habitudes de la société, et croyait beaucoup plus à la puissance des sentimens. Ce qu’elle estimait surtout, c’étaient leurs tendances bien plus que leurs idées. « Le pays d’utopie, dit-elle, est impossible à créer. Mes espérances par rapport à notre race sur cette planète sont plus limitées que celles de la plupart de mes amis. J’accepte les limites de la nature humaine, et je crois qu’une sage connaissance de ses bornes est une des meilleures conditions du progrès. Cependant chaque noble doctrine, chaque poétique manifestation prophétise à l’homme ses destinées possibles, et c’est pourquoi je sympathise avec les hommes que l’on désigne sous le nom de parti transcendental, parce que je sens que leurs tendances sont nobles et vraies. » Il est évident aussi que sur certaines questions elle allait beaucoup plus loin que ses amis, notamment sur toutes les questions qui touchent à l’éducation et au rôle de la femme. Marguerite est-elle donc partisan de la femme libre et des opinions saint-simoniennes et fouriéristes sur ce sujet délicat ? Ici, tout en faisant nos réserves sur les opinions de Marguerite, nous devons l’amnistier pleinement. Elle n’est point socialiste, et, malgré le rôle qu’on lui vit jouer dans l’insurrection italienne de 1848, elle n’a jamais approché de ces doctrines mécaniques et sensuelles sans ame et sans noblesse. Toute sa vie elle a joué ainsi avec des armes équivoques, dangereuses, sans se blesser. Sur toutes ces questions scabreuses et difficiles, elle glisse avec dextérité et se prononce quelquefois avec un singulier bon sens.

Il s’était établi une sorte de ligue, comme il y en a tant en Amérique, sous le nom de ligue de l’association, pendant les années 1840 et 1841. Plusieurs de ses amis en faisaient partie, et entre autres le révérend George Ripley, qui, joignant la pratique à la théorie, avait fondé de ses propres deniers, et en sacrifiant honorablement à cette tentative sa fortune, sa position, sa réputation, son influence, une sorte de société fouriériste à Brook-Farm, dans les environs de Boston. Marguerite sympathisait vivement avec ces essais et ces tentatives, elle visitait souvent l’association, mais se défiait de sa réussite. Elle observe très judicieusement que l’association existe déjà, sans qu’on le sache, par l’influence mutuelle de nos pensées sur les destinées de chacun de