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plus sévères. Le succès de M. Gosse n’a rien d’alarmant ; c’est une méprise, et rien de plus. Le bon sens de la foule, fourvoyé par des enseignemens captieux, se réveillera sain et vigoureux dès que l’école française lui offrira des compositions bibliques vraiment dignes de ce nom. M. Gosse, en traitant la Création, n’a tenu compte ni de Moïse ni de Milton, et je lui rends cette justice, qu’il s’est conduit avec une parfaite indépendance. Dès qu’un peintre familiarisé tout à la fois avec l’étude de la tradition et avec l’étude de la nature voudra traiter ce thème difficile, je ne doute pas qu’il ne réunisse de nombreux suffrages, et que le souvenir de M. Gosse ne soit bientôt effacé. Pour moi, tout en reconnaissant ce qu’il y a de singulier, d’inattendu dans le succès obtenu par le peintre, je n’y vois pas un symptôme de décadence. De tout temps, les compositions d’un certain ordre n’ont pu être jugées que par un petit nombre d’esprits. La moyenne de l’intelligence publique ne s’est jamais trouvée au niveau de certains sujets. Il ne faut donc pas s’étonner si la foule a pris M. Gosse pour un artiste sérieux capable de traiter les sujets racontés par Moïse et par Milton. Dans un siècle ou deux, la même bévue pourra se renouveler, car dans un siècle ou deux la foule ne sera pas encore initiée aux idées les plus élevées que puisse se proposer l’intelligence humaine. Les traditions chrétiennes et les traditions homériques seront encore le domaine du petit nombre. Contentons-nous de signaler comme ridicule le succès de M. Gosse, et gardons-nous bien d’en exagérer l’importance. Ni étonnement ni colère ; le sourire suffit.

Je ne veux pas quitter le champ de l’invention sans signaler la Partie de Dames de M. Yvon, dessin plein de charme et de naïveté. M. Yvon a montré dans cette composition une vérité à laquelle nous sommes habitué. Abraham regardant Sodome et Gomorrhe, de M. Alfred Arago, est traité dans un style élevé. La Science et la Philosophie conduisant à la Religion nous offre le talent de M. Debon sous un aspect nouveau : il y a dans ce tableau des enfans qui ravissent le regard.

Le portrait, j’ai regret à le dire, est le genre le plus important au salon dont je parle aujourd’hui. Sans doute l’imitation fidèle de la physionomie humaine jouera toujours un rôle considérable dans le développement de la peinture, mais il serait à souhaiter que cette partie de l’art n’occupât pas le premier rang. M. Louis Boulanger nous a donné deux portraits de femme, tous deux traités avec soin, avec habileté, mais dont l’un surtout, de type espagnol, rappelle les meilleurs temps de la peinture. Les portraits de M. Ricard, excellens sous le rapport de l’harmonie, modelés d’une façon incomplète, ont le malheur de réveiller trop vivement le souvenir de l’école vénitienne. Je regrette que M. Hébert, si justement applaudi l’année dernière pour son charmant tableau de la Malaria, se soit fourvoyé au point de nous