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trouvé Dona quand la marée a apporté les restes du canot. J’ai donné la moitié pour l’ensevelir ; l’autre sera pour moi : je veux dormir dans la même toile que mon cher enfant.

— Cela sera fait, murmura l’idiote avec une sorte d’exaltation.

— Y veillerez-vous, mon Simon ?

— J’y veillerai, dit le gardien.

— Et maintenant, ajouta la mourante en baissant la voix, j’ai à vous faire encore une autre demande… une demande qui fera la joie ou le souci de ma mort, suivant que vous l’écouterez.

— Ne savez-vous pas que je n’ai rien à vous refuser ? dit Lavau ému.

— Est-ce vrai ? s’écria Madeleine ; alors, si je vous recommandais de faire dire des prières pour l’ame de mon pauvre Dona ?…

— Elles seraient dites, Madeleine.

— Vous me le jurez, mon Lavau ?

— Oui.

— Sans oubli, n’est-ce pas ?


— Sans oubli.

— Et, quoi qu’il en coûte, vous ne regarderez pas à l’argent ?

— Non, fallût-il y mettre mes économies de l’année !

La mourante joignit les mains.

— Dieu vous paiera cette bonne parole le jour où il viendra dans sa gloire pour nous juger tous, dit-elle ; mais je vous ai assez coûté vivante sans vous dépouiller encore quand je serai sous terre. Mon cher homme, je ne vous demande rien que de remplir mes intentions.

Elle regarda autour d’elle, fouilla convulsivement dans son sein, et en retira un petit sachet de toile rousse.

— Tenez, mon Simon, ajouta-t-elle plus bas, il y a là sept écus en argent blanc épargnés par demi-sous sur le cri de ma faim et la sueur de mon corps ; je veux qu’on les emploie à faire dire tous les ans une messe d’allégeance en l’intention de Dona, et à mettre sur sa fosse, à la place de la croix de bois, une pierre taillée où sera son nom.

— On la mettra, murmura Georgi, qui prêtait une attention extraordinaire aux paroles de la mourante, et dont l’œil avait, depuis quelques instans, une lucidité étrange. Ces mots ramenèrent l’attention de Madeleine sur la pâlotte.

— N’est-ce pas que tu le veux bien, pauvre innocente ? Continua-t-elle. Il y en a qui diront que mieux vaudrait te laisser les sept écus ; mais tu as des parens qui ne t’abandonneront pas. On voit les peines des vivans et on les aide, tandis qu’on oublie les souffrances des morts quand ils sont cachés sous l’herbe du cimetière.

— Je n’oublierai pas Donat s’écria Georgi avec une énergie sombre.

— L’entendez-vous, mon Lavau ? reprit la mère, dont le visage s’éclaira. Pour dire la vérité, Dona et elle s’aimaient d’un grand cœur et