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présentent en ce moment pour nous les théories constitutionnelles au nom desquelles de si rudes assauts furent livrés durant quinze ans à la maison de Bourbon ? Pour juger en parfaite connaissance de cause la monarchie représentative, peut-être fallait-il que ce régime eût disparu, déserté par un si grand nombre des hommes qui s’étaient, pour le défendre, engagés dans les voies d’une opposition implacable. J’aborde donc l’étude de la restauration sous le coup d’événemens dont l’effet sera d’éclairer cette ère politique d’une lumière triste, mais nouvelle ; je me propose surtout d’observer, durant cette première période de notre vie constitutionnelle, le rôle de ces classes industrielles et lettrées dont j’ai signalé l’action et les instincts dans une série de travaux auxquels j’ose renvoyer les lecteurs de cette Revue qui n’en auraient pas perdu le souvenir[1].


I

Au moment où l’empire succombait sous le contre-coup de ses violences, et lorsque la guerre, portée dans toutes les capitales de l’Europe, se terminait aux buttes Montmartre, il ne régnait en France qu’un seul sentiment, celui de la lassitude, ci le pays n’entretenait qu’une seule pensée, celle d’une pacification prompte et générale. De croyances politiques, la nation n’en avait plus : celles-ci s’étaient abîmées dans la sanglante loterie dont les dépouilles du monde avaient si long-temps fourni les lots. Les garanties stipulées en 1802 et rappelées en 1804 avaient disparu sans laisser ni regrets ni souvenirs au sein des masses enivrées de bruit et de gloire. Une formidable machine de guerre s’était élevée au lieu et place de cette monarchie radieuse, mais pacifique et pondérée, que la France avait saluée douze années auparavant de ses acclamations et de ses espérances.

Le rêve politique de 1789, repris de 1795 à 1802, ne touchait plus que les hommes personnellement engagés dans les événemens de la révolution. En 1814, les constitutionnels formaient moins un parti qu’une école, et celle-ci aurait facilement tenu dans l’enceinte d’un salon. Mais, si la France avait cessé de s’inquiéter de la liberté, elle avait conservé, jusque dans l’affaiblissement où la jetait l’épuisement de son sang généreux, le sentiment très vif de l’égalité conquise, et si les théories constitutionnelles étaient mises en oubli par la génération élevée dans les lycées et dans les camps, le souvenir des premiers triomphes remportés par la démocratie sur l’ordre social antérieur à 1789 était aussi vif qu’aux jours de la Bastille. Les merveilleuses fortunes créées par l’épée, loin d’étancher cette soif d’égalité, n’avaient servi qu’à la rendre plus ardente, car ces glorieux soldats, admis à

  1. Voyez De la Bourgeoisie et de la Révolution française, n° du 15 février, 15 mai, 15 juin, 15 novembre 1850, et 1er janvier 1851.