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parce qu’elle est incompatible avec notre génie ; ce n’est pas davantage parce que la France ne possède point une puissante aristocratie territoriale. L’histoire atteste à chacune de ses pages que, si la présence de cet élément-là imprime un jeu plus facile à un gouvernement libre, elle n’est aucunement nécessaire à l’existence d’un tel gouvernement. La Belgique a des institutions représentatives depuis vingt ans, la Hollande en possède depuis plus de deux siècles, et ces pays, civilement organisés comme le nôtre, ne sont aucunement modelés sur ce type britannique en dehors duquel il n’y aurait, suivant les détracteurs du gouvernement parlementaire, aucune condition de durée pour cette forme de gouvernement. Si le système représentatif a succombé en France, c’est que nous avons dans notre sein des factions plus que des partis, et que l’opposition a moins aspiré à s’emparer du pouvoir qu’à le renverser. Ceci est un fort grand malheur sans nul doute ; mais cette longue maladie chronique n’est pas plus imputable à certaines institutions qu’elle ne serait guérie par des institutions différentes. Cet état moral, amené par des perturbations immenses, est entretenu par les plus vivaces entre toutes les passions humaines ; il préexistait à l’établissement du gouvernement représentatif en France, comme il survivra malheureusement à sa chute.

S’il a existé dans le cours de nos trente dernières années une heure propice à l’établissement de la monarchie constitutionnelle en France, c’est assurément l’époque de la première restauration. Les partis, qui depuis quinze années ne s’étaient pas rencontrés face à face, étaient alors séparés par des souvenirs lointains et de vagues inquiétudes plus que par des griefs actuels et des antipathies personnelles. Le rétablissement de la dynastie ayant été l’œuvre des circonstances et non pas celle d’un parti, et la royauté ne devant en ce moment-là rien aux royalistes, elle était en mesure de tenir la balance égale entre ses amis de la veille et ceux du lendemain. L’histoire, plus juste que les contemporains, constatera qu’elle le fit avec une abnégation digne d’éloges, qu’elle n’inquiéta aucun intérêt, ne blessa pour son propre compte aucune susceptibilité, et qu’elle n’hésita pas à donner des gages d’oubli et même de bienveillance aux hommes les plus compromis. Dans tout le cours de l’année 1814, il ne fut pas fait aux chambres une proposition législative, il ne fut pas répandu dans le public une espérance de nature à susciter les appréhensions les plus ombrageuses. Quelques choix furent déplorables sans doute et suffirent à faire perdre au roi Louis XVIII tout le profit de ses excellentes intentions. Le moment était mal choisi pour se passer la fantaisie d’un favori, et il y avait plus que de la maladresse à donner pour chef à l’armée le général dont le nom se rattachait à la désastreuse capitulation de Baylen. L’inexpérience politique, alors universelle, explique seule qu’on ait pu choisir, pour inaugurer une ère de conciliation et de liberté constitutionnelle, de