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vieux magistrats dont les souvenirs de jeunesse se reportaient à la grand’chambre, hommes honnêtes, mais plus dénués encore de tact que d’esprit, et qui, sous des phrases ampoulées, empruntées à la langue moitié servile, moitié hargneuse des parlemens, semblaient cacher des arrière-pensées dangereuses, tandis qu’ils n’avaient guère d’autre souci que de dissimuler leur propre médiocrité. Les humbles doléances de M. Dambray, la ligne droite et la ligne courbe de M. Ferrand, forment, avec les impertinences de quelques grandes dames et les rêves de certains Épiménides de châteaux, le bilan de presque tous les torts légitimement imputables au gouvernement de la première restauration. Les cent-jours sont sortis de mots moins sérieux que ridicules jetés par la mauvaise foi en pâture à l’ignorance.


III

Si des soldats fidèles à toutes les fortunes de leur général peuvent arrêter avec orgueil leurs souvenirs sur ces heures d’entraînement et de lutte héroïque, il faut réserver à l’histoire le droit de dire que jamais révolution ne fut plus désastreuse dans ses conséquences. Ce mouvement militaire n’eut pas seulement pour effet d’épuiser les forces vives de la nation dans un effort impossible, et de faire passer l’Europe de la bienveillance presque respectueuse de 1814 au ressentiment implacable de ses vieilles injures oubliées ; il n’épuisa pas seulement la France de sang et d’or ; les hontes de l’occupation étrangère, les deux milliards de notre rançon, l’atteinte portée à nos frontières et aux chefs-d’œuvre conquis par nos armes, tout ce long arriéré de vengeances si cruellement payé en un jour n’est rien auprès des maux incalculables que la crise des cent-jours fit à la France politique. Ce sanglant épisode enlevait pour jamais à la restauration la seule position qui pût assurer son avenir. Elle cessait d’être une transaction pour devenir une victoire, et la royauté fut désormais contrainte d’épouser des passions et de s’associer à des vengeances qui l’arrachèrent à la sphère calme et sereine où l’avaient d’abord placée les événemens.

Un complot ourdi de longue main, des sermens prêtés et méconnus, des désastres effroyables, suivis d’une occupation étrangère plus humiliante encore que ruineuse, tel était l’aspect sous lequel apparaissait aux royalistes cette révolution improvisée, dans laquelle les soldats avaient entraîné leurs généraux, et qui n’avait guère eu pour mobile que la vue du drapeau d’Austerlitz. D’un autre côté, la dynastie, si étrangère qu’elle fût à ce grand désastre, en porta aux yeux du pays la responsabilité tout entière. Lorsque Louis XVIII rentra dans Paris le 8 juillet 1815, le peuple ne vit plus dans l’auteur de la charte que le promoteur de l’invasion et le complice de Blücher. De profondes et réciproques injustices vinrent dénaturer les faits, fausser les esprits et