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consulter les philologues ; mais, à notre avis, son travail n’en était pas moins incomplet par cela seul qu’il s’adressait uniquement aux savans. Le public, en pareille matière, a droit de n’être pas oublié. Pour lui donner la clé d’une telle œuvre, il ne suffisait pas d’un glossaire expliquant à peine quelques mots ; c’est une traduction qu’il fallait. D’un autre côté, le sujet du poème suggère une foule de considérations historiques et littéraires que le savant éditeur n’avait pas cru devoir aborder. Les notes, il est vrai, et son introduction sont pleines de citations érudites ; mais, pour accomplir sa tâche, la critique, en pareille matière, avait à nous donner quelque chose de plus.

Nous ne sommes donc pas surpris que, dix ans après M. Michel, M. Génin ait cru pouvoir étudier à son tour la chanson de Roland, la commenter et la traduire. C’était son droit assurément. On le lui a pourtant contesté ; on est allé jusqu’à prétendre que ce texte d’Oxford était la propriété du premier occupant, et que l’imprimer à nouveau, sans l’aveu du premier éditeur, c’était commettre, ni plus ni moins, le délit de contrefaçon. Nous n’avons nulle envie de nous mêler à ces débats, ne voulant pas être conduit à signaler de part et d’autre de regrettables vivacités ; mais, parmi les reproches si largement prodigués à M. Génin, il en est un, faut-il le dire, qui pourrait bien ne pas manquer de fondement. M. Génin ne tient aucun compte des travaux de ses devanciers ; il n’en dit ni bien ni mal ; il oublie qu’ils existent. Est-ce par ménagement ? Il se trompe : mieux vaudrait être sévère que paraître dédaigneux. Ce silence a d’ailleurs un autre inconvénient : il induit en erreur un lecteur peu expérimenté. Vous pouvez lire jusqu’à la dernière ligne l’introduction de M. Génin, lecture attrayante à plus d’un titre, sans vous douter que jamais personne ait, non pas même publié la chanson de Roland, mais étudié le moyen-âge, ses mœurs, son histoire et sa langue. Nous comprenons que sur beaucoup de points, et notamment en ce qui concerne l’appréciation littéraire et historique du poème, M. Génin, s’il ne porte ses regards que sur les éditeurs qui le précèdent, puisse être tenté de se croire l’inventeur de tout ce qu’il dit : il sent les beautés de cette poésie primitive avec une chaleur et une conviction dont certes il n’a pas trouvé l’exemple chez M. Francisque Michel, archéologue avant tout, moins amoureux des richesses de l’art que des curiosités de la philologie ; mais, sans parler d’un essai de M. Francis Wey et d’un travail de M. Delécluze, où les parties grandioses de la chanson de Roland sont dignement appréciées, sans remonter jusqu’à la thèse de M. Monin, qui, dans sa brièveté, laisse échapper sur les beautés de cette poésie plus d’un trait de lumière, nous pourrions citer telle leçon d’un cours d’histoire publié il y a six ou sept ans, dans laquelle le professeur, M. Lenormant, parle aussi de la chanson de Roland, rapidement, in-