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LA CHANSON DE ROLAND.

cidemment, mais avec une élévation lumineuse qui ne laisse dans l’ombre aucune des sommités du sujet. M. Génin est trop riche par lui-même pour ne pas tenir à distinguer son propre bien d’avec le bien d’autrui. Nous aurions donc souhaité qu’il fît, en quelques mots, connaître à son lecteur ce qui s’était fait et dit avant lui ; mais, ce regret exprimé, nous ne saurions admettre que dans ce volumineux et important travail le nouvel éditeur se soit rendu coupable d’autant de méfaits qu’on veut bien le faire croire. Comme tous ses confrères en philologie, il peut avoir ses heures de distraction, il lui est arrivé, comme aux autres, de faillir dans des détails microscopiques ; mais, dès qu’une question en vaut la peine, il la traite en homme de savoir aussi bien qu’en homme d’esprit, avec un sens pénétrant et un rare discernement des origines et des variations de notre langue. Sa critique est résolue, quelquefois tranchante, hasardeuse, jamais vague ni mesquine, et, sans nous associer à tous ses jugemens, sans adopter tous ses points de vue, le hasard fait que c’est souvent dans les passages où lui sont reprochés le plus d’erreurs et de fautes de goût, qu’il nous semble avoir fait preuve du coup d’œil le plus sûr et du meilleur jugement.

Mais tout cela nous détourne de notre droit chemin : il nous faut laisser là les polémiques et les préfaces, et en venir au fond du sujet.

Le manuscrit d’Oxford est-il assez ancien, est-il écrit en assez vieux langage pour qu’avec vraisemblance on puisse y reconnaître le texte original de la chanson de Roland ?

Quand même ce point serait douteux, le poème, tel qu’il est, et quel que soit son âge, n’est-il pas encore d’un haut prix, d’un immense intérêt ? Les beautés qu’il contient, de quel ordre sont-elles ? Peut-il, à titre d’épopée nationale, prendre la place restée vide dans l’histoire littéraire de la France ?

Telles sont les questions à résoudre. Attachons-nous d’abord à la première.

Que le texte d’Oxford soit antérieur à ceux de Paris, de Lyon, de Metz, de Cambridge, et même de Venise, c’est un fait presque inutile à établir. On s’en aperçoit du premier coup à l’état de la langue et au système de la versification. Quoique déjà française, la langue dans ce texte est plus inculte, moins façonnée que dans tous les autres, et le mécanisme des vers est d’une infériorité encore plus évidente. Dans les textes rajeunis, les vers sont d’exacte mesure, et riment non-seulement pour l’oreille, mais pour les yeux : dans le texte d’Oxford, ils ne riment en général que par simple assonance, c’est-à-dire par une correspondance imparfaite et approximative du son final ; quant à la mesure, elle n’existe souvent qu’à condition de supprimer çà et là dans l’intérieur du vers une ou deux syllabes muettes, procédé d’éli-