Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
833
LA CHANSON DE ROLAND.

devant Carcassonne, l’empereur assis à l’ombre dans un pré, son neveu vint à lui, vêtu de sa cuirasse, et tenant à la main une pomme vermeille : « Tenez, beau sire, dit Roland à son oncle, de tous les rois du monde je vous offre les couronnes ! » — « Ce fol orgueil finira par le perdre, car chaque jour il s’expose à la mort. Vienne le coup qui le tuera ! quelle paix serait la nôtre ! »

« Mais ce Roland si cruel, dit Blancandrin, ce Roland qui veut mettre à merci tous les rois, s’emparer de toutes leurs terres, avec quelle aide en viendra-t-il à bout ? — Avec l’aide des Français. Ils l’aiment tant, que jamais ils ne lui feront faute. Tous, jusqu’à l’empereur, ne marchent qu’à son gré. Il est homme à conquérir le monde d’ici jusqu’en Orient ! »

À force de parler, tout en chevauchant par voies et par chemins, ils s’entre-donnent leur foi de travailler à la mort de Roland. À force de chevaucher, ils arrivent à Saragosse, et sous un if ils mettent pied à terre.

Le roi Marsille est au milieu de ses Sarrasins. Ils gardent un morne silence, inquiets d’apprendre ce qu’apportent les messagers.

« Vous êtes sauvé, dit Blancandrin s’avançant aux pieds de Marsille, et, tenant Ganelon par la main, sauvé par Mahomet et Apollon, dont nous tenons les saintes lois ! Charles n’a rien répondu, mais il vous envoie ce noble baron : par lui vous allez entendre si vous aurez la paix ou la guerre.

— Qu’il parle, dit le roi. »

Ganelon, après s’être recueilli, commence ainsi : « Soyez sauvé par le Dieu que nous devons tous adorer ! Voici les volontés du puissant Charlemagne : Vous recevrez la loi chrétienne, la moitié de l’Espagne vous sera donnée à fief. Si vous ne voulez pas accepter cet accord, vous serez pris et garrotté, conduit à Aix, et frappé par jugement d’une mort honteuse et vile. »

À ce discours, le roi pâlit et tremble de colère. Son javelot d’or s’agite dans sa main ; il en veut percer Ganelon. On le retient. Ganelon porte la main à son épée, en tire deux doigts du fourreau : « Ma belle épée, dit-il, tant que vous brillerez à mon flanc, nul à notre empereur n’ira dire qu’en ce pays étranger je sois tombé tout seul. Il faut auparavant que du sang des meilleurs vous me soyez payée ! »

Les Sarrasins s’écrient : « Empêchons le combat. »

À leurs prières, Marsille s’est calmé ; en son fauteuil il se rasseoit. « Mal vous a pris, lui dit son oncle le calife, de vouloir frapper ce Français ! vous le deviez écouter. » Et Ganelon, pendant ce temps, fait bonne contenance, la main droite sur la poignée de son épée. Les spectateurs se disent : Voilà un noble baron !

Peu à peu il s’approche du roi, et reprend son discours : « Vous