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discipline peut seule assurer l’observance soutenue des règles reconnues nécessaires ; or la soumission à la règle et l’obéissance pour des questions de ce genre sont des qualités qu’il ne faut pas s’attendre à trouver chez l’ouvrier américain, élevé dans des idées d’indépendance absolue en tout ce qui touche ses intérêts privés et sa conduite. Il fallait donc s’attacher à l’adoption d’un régime convenable, pour la nourriture surtout : voici ce qui a été fait à cet égard.

Tous les objets nécessaires à l’alimentation du personnel sont expédiés des États-Unis ; le climat ne permettant pas de conserver des viandes fraîches, on a recours aux salaisons. Aussi c’est le bœuf ou le porc salé qui forment la base de la nourriture des ouvriers. On leur donne aussi des pommes de terre et du riz. En outre, ils ont le café et le thé deux fois par jour. Le pain qu’ils mangent est presque toujours du pain de maïs. On aurait pu, sans beaucoup de difficultés, varier un peu cette nourriture en envoyant sur l’isthme des bestiaux sur pied et des moutons ; comme les arrivages sont très fréquens, il aurait été facile de renouveler souvent les approvisionnemens de ce genre, condition essentielle, puisqu’on ne trouverait guère de pâturages pour les animaux ainsi amenés, et qu’on devrait apporter en même temps tout ce qu’il faut pour les nourrir. Toutefois on doit dire que les ouvriers ne paraissent pas se trouver mal de ce régime, qui est en définitive celui auquel ils ont été habitués chez eux. Dans tous les états du sud et de l’ouest de l’Union américaine, les Américains de toute classe se nourrissent principalement de viandes salées.

Les ouvriers sont logés dans des bâtimens en bois convenablement disposés. Ils couchent sur des cadres en toile que l’on préfère en général sur l’isthme, parce qu’on y dort plus au frais. Sur chacun des chantiers les plus importans réside un médecin. Un bâtiment spécial est affecté aux ouvriers malades. Les chantiers qui n’ont pas de médecin à poste fixe sont souvent visités par les médecins des établissemens voisins. Presque toutes les maladies qu’ils ont à traiter sont des fièvres bilieuses ou intermittentes, quelquefois aussi des fièvres cérébrales ; enfin on observe aussi des cas de dyssenterie causés par la chaleur ou par l’usage immodéré de fruits qui n’ont pas toujours atteint une maturité parfaite. Les dyssenteries et les fièvres cérébrales sont plus funestes que les autres maladies ; cependant la mortalité ne s’est pas élevée à un chiffre bien considérable. Ainsi au bout de quatre mois, lorsque la compagnie comptait déjà sur les chantiers un personnel de près de 800 ouvriers, dont une centaine étaient des nègres de la Jamaïque ou des gens du pays, on ne comptait que 30 morts à peu près ; 100 ouvriers qui étaient en voie de convalescence avaient été renvoyés aux États-Unis. Beaucoup d’autres avaient repris le travail après une maladie plus ou moins longue. Il faut ajouter que quelques-uns des ouvriers convalescens avaient succombé pendant le voyage de Chagres aux États-Unis.