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qui aurait dit que cette bouche adorable d’où s’échappaient de si douces paroles serait un jour fermée violemment par la main du bourreau !

La Coltellini, pendant son premier séjour à Vienne, chanta avec un très grand succès dans un opéra, un pasticcio resté fort inconnu, la Villanella rapita, où elle était ravissante d’esprit et de grace. Mozart, le divin Mozart, qui était condamné, pour vivre misérablement, à écrire jusqu’à des contredanses de guinguettes, a composé, pour la Coltellini et ses camarades, un quatuor d’abord et puis un trio qui furent intercalés dans ce pasticcio, dont ils étaient le plus bel ornement. Chargée de sonnets et de guirlandes, carica di ghirlande, comme le dit Ferrari dans ses agréables mémoires[1], Céleste Coltellini retourna à Naples dans les premiers mois de l’année 1786. Elle eut le bonheur d’y rencontrer Paisiello, qui, depuis deux ans, était revenu aussi de Saint-Pétersbourg. La Coltellini reparut devant le public napolitain, qui avait encouragé ses débuts et dont elle était restée l’idole, dans un opéra assez faible de Paisiello, le Gare generose o gli schiavi per amore, avec sa sœur Annetta, l’admirable ténor Viganoni et le bouffe Casasciello. C’est alors que Paisiello écrivit pour la Coltellini, dont il avait compris le talent plein de brio et de grace touchante, trois opéras qui ont donné un éclat plus vif à la réputation du maître napolitain et raffermi celle de la cantatrice interprète de ses inspirations nous voulons parler de la Cuffiara, de la Molinara, pastorale délicieuse représentée en 1786, et surtout de la Nina pazza per amore, chef-d’œuvre qui est resté la partition la plus complète et la plus vivace de Paisiello.

C’est dans le mois de mai 1787, dans la même année qui a vu naître le Don Juan de Mozart, que la Nina fut représentée pour la première fois à Naples, au palais royal de Caserta, avec un succès où l’enthousiasme se mêlait à l’attendrissement le plus profond. Cet opéra, qui a fait le tour du monde, et dont la postérité a ratifié le succès primitif, fut composé expressément pour la Coltellini, qui remplissait le rôle principal, — pour sa sœur Annetta, pour le ténor Lazzarini, Tasca, Trabalza et la Bollini. Il s’est conservé, dans la mémoire des hommes de goût qui suivent à Naples les progrès de l’art de chanter, une sorte de tradition sur la première représentation de la Nina. Il paraît que la Coltellini était si pathétique dans la romance adorable : Il mio ben quando verrà, que les plus grandes dames de la cour, pleurant à chaudes larmes, se mirent à crier, à travers les sanglots qui étouffaient

  1. Aneddoti piacevoli di Giacomo Gotifreddo Ferrari ; 2 vol. petit in-8o. Ferrari a été un aimable compositeur de romances et de canzonette qui a vécu presque toujours en Angleterre, où il a publié en 1830 le livre que nous citons, et qui est dédié au roi George IV.