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leur voix : — Si, si verrà, il tuo Lindoro ; oui, oui, il reviendra, ton bien-aimé ! — Heureux temps que celui où les œuvres de l’art produisaient de telles illusions, réunissant dans une émotion commune le compositeur, le virtuose et le public ! Nous avons vu se reproduire presque de nos jours le même miracle, lorsque Mme Pasta chanta à Paris ce rôle de la Nina où elle était inimitable. Je crois que Mme Pasta a été la dernière grande cantatrice du XIXe siècle qui ait réussi à rendre la grace simple et touchante du chef-d’œuvre de Paisiello.

Après l’immense succès qu’elle venait d’obtenir à Naples, Céleste Coltellini dut partir pour Vienne, où elle arriva, pour la seconde fois, dans l’automne de l’année 1787. Elle parut dans un ouvrage qui était alors fort en vogue, la Cosa rara, de l’Espagnol Martini, dont le libretto est de Lorenzo da Ponte. Cet opéra, qui fut composé à Vienne en 1786, a eu l’insigne honneur de balancer le succès des Nozze di Figaro, de Mozart, qui ont vu le jour la même année et dans la même ville. Sans vouloir rapprocher des choses d’un ordre si différent, l’opéra de Martini n’est pourtant pas à dédaigner, et Mozart lui-même aimait à rendre justice aux mélodies faciles et limpides qui remplissent cette agréable partition. N’y eût-il que le charmant duetto si connu des vieux dilettanti :

- Pace, mio caro sposo !
- Pace, mio dolce amore !
- Non sarai più geloso ?
- No, nol sarô, mio core.


Cela suffirait pour expliquer le succès qu’a eu pendant trente ans cet opéra d’une facture si simple, lorsqu’il était interprété par des chanteurs comme Mandini, qui a créé le rôle du prince. Mandini était un virtuose du plus rare mérite dont la voix de ténor douce, flexible, délicate et d’un timbre délicieux rayonnait sans efforts et emplissait l’oreille d’une sonorité exquise. Doué d’une belle prestance, l’esprit orné et excellent musicien, Mandini réussissait surtout dans les rôles de demi-caractère que comportait le style de la plupart des opéras bouffes de son temps et particulièrement celui de la musique de Martini. Après avoir brillé successivement à Naples, Milan, Venise et Vienne, Mandini vint à Paris en 1789, et fit partie, avec la célèbre Morichelli, de cette excellente troupe de chanteurs italiens qui est restée en France jusqu’en 1792. Tous les vieux dilettanti qui ont été assez heureux pour entendre alors Mandini chanter dans la Cosa rara s’accordent à dire que rien de nos jours ne saurait donner l’idée d’une méthode aussi parfaite. Mon illustre maître Alexandre Choron, dans les momens fort rares où il était assez content de nous, disait : « Ah ! si vous aviez entendu Mandini dans la Cosa rara, vous n’auriez pas tant de peine à concevoir l’idéal que je m’efforce d’éveiller en vous. » Il terminait toujours ses petits discours en murmurant