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de sa voix chevrotante la phrase exquise de Pace, mio caro sposo ? jusqu’à ce que l’émotion vînt étouffer net les restes d’une voix qui avait dû être jadis un ténor assez équivoque. Après la révolution du 10 août, Mandini retourna en Italie ; il était à Venise en 1794, à Saint-Pétersbourg l’année suivante, où Mme Vigée-Lebrun eut le plaisir de l’entendre et d’admirer l’un des chanteurs les plus parfaits de la fin d u XVIIIe siècle.

La Coltellini ne quitta Vienne qu’après la mort de l’empereur Joseph II, arrivée le 20 février 1790. De retour à Naples, elle chanta encore pendant quelques années avec un succès toujours croissant, dont le souvenir s’est perpétué jusque dans les générations contemporaines. En 1795, elle abandonna la carrière qui avait fait sa gloire pour épouser un banquier suisse nommé Mericofre, faisant succéder ainsi à une vie pleine d’enchantemens les devoirs doux et austères, de l’épouse et de la mère de famille. Entourée de l’estime universelle, Mme Mericofre a vécu jusqu’en 1822, et ce sont les fils de Céleste Coltellini, de la cantatrice brillante qui a créé le rôle de la Nina dans le chef-d’œuvre, de Paisiello, qui dirigent aujourd’hui une des premières maisons de banque de la ville de Naples.

Céleste Coltellini possédait une voix de mezzo soprano d’une étendue ordinaire et d’une flexibilité suffisante. Cette voix, juste, pure, d’un timbre pastoso et d’une égalité parfaite, semblait avoir été faite exprès pour exprimer des sentimens délicats, les nuances modérées de la passion. Vive, intelligente, elle saisissait promptement le côté pittoresque des rôles qu’on lui confiait, et savait leur donner une physionomie pleine de grace et de vérité. Une taille élégante et bien proportionnée, des yeux pétillans d’esprit, un visage charmant qui s’épanouissait au moindre mot, laissant apercevoir, sous les rayons de la gaieté, une émotion tendre toute prête à déborder, tels étaient les dons naturels qui distinguaient Céleste Coltellini, dont le talent exquis a excité l’admiration de tous ses contemporains. L’Allemand Reichardt, Majer de Venise, le docteur Burney, lord Edgecumbe, da Ponte lui-même, et surtout Ferrari, parlent de la Coltellini comme de la cantatrice la plus parfaite de la fin du XVIIIe siècle. C’était un bijou, era un giojello, dit Ferrari, qui l’a beaucoup connue, en 1786, pendant le séjour qu’il fit à Naples, où il était allé étudier la composition sous la direction de Paisiello. « Charmante dans la Molinara et dans tous les rôles qu’elle jouait, ajoute le même auteur, elle fut sublime dans la Nina, et y produisit une telle impression, que le public osait à peine respirer… faceva piangere… e toglieva quasi il respiro a chi l’ascoltava e vedeva[1]. »

  1. Aneddoti piacevoli, Ier, v., p. 126.