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de son ami, l’enfant regardait sans façon les livres et les papiers qui étaient sur la table, les lisait, puis, se mettant devant la glace, arrangeait ses cheveux et faisait sa toilette. D’abord M. Johnston s’amusa à le voir faire; mais à la fin ce jeu finit par l’ennuyer, et alors il lui fit observer que dans son pays les petits garçons ne se donnaient point tant de liberté. « Je racontais cette anecdote à une dame, ajoute le voyageur, qui me dit : — Mais n’avez-vous pas eu peur d’adresser de tels reproches à cet enfant? Il peut être un jour président de la république. — Eh bien? — Eh bien! alors il pourrait vous faire beaucoup de mal. »

Ce sont en effet des personnages redoutables que ces petits Yankees de douze à quinze ans, tels qu’ils nous sont décrits par tous les voyageurs, qui entrent dans une maison de banque ou dans une manufacture de New-York et de Boston, accrochent leur chapeau, posent leur canne dans un coin, tirent gravement leurs gants, placent leur lorgnon à l’œil, sifflent un air d’opéra, donnent leur opinion sur le talent de Jenny Lind, puis tirent un carnet de leur poche et concluent des affaires pour plusieurs millions. La crainte et la vénération les entourent; ce que les Américains admirent, c’est la possibilité de richesse, de succès, de puissance qui est en eux; ce sont les germes inconnus, ce sont les éléments dont ils redoutent les effets ultérieurs. Lorsque l’enfant est devenu homme, alors l’adoration cesse; l’enfant était redoutable, il pouvait être président de la république : l’homme l’est beaucoup moins une fois qu’il a donné la pleine mesure de ses facultés; il est probable qu’il ne sera jamais président. La tyrannie des femmes égale, si elle ne la dépasse, celle des enfans; seuls, les enfans et les femmes jouissent de la liberté en Amérique; eux seuls n’ont rien à redouter; ils sont gâtés, adulés, adorés; leurs caprices sont des lois, et leur veto a plus d’autorité certainement que le veto du président sur le congrès. Aussi faut-il voir le ton dédaigneux avec lequel les enfans et les femmes parlent de la servilité des femmes anglaises et des jeunes Européens. « Lorsque je voudrai me marier, disait un colon de l’ouest à M. Johnston, j’irai chercher une femme au Canada; quand je rentrerai, je trouverai un bon souper et un bon feu, tandis que, si je prenais une Américaine, elle me dirait en me voyant rentrer : « Jean, va chercher de l’eau, fais bouillir la marmite. »

Que de telles mœurs bouleversent les relations de la famille, il est permis de le supposer. Il existe peu de liens entre les hommes en Amérique, mais il en existe encore moins entre les parens, les êtres du même sang. Habitués à ne compter que sur eux, dressés par leurs pères à n’avoir confiance qu’en leur énergie, les enfans prennent leur volée aussitôt que l’adolescence est arrivée, comme l’oiseau lorsqu’il a pris ses plumes, et les parens les voient partir sans plus de souci que