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sculpteur complet, il nous offre des qualités assez précieuses, assez solides pour défrayer la discussion. Vénus et l’Amour ont enchanté presque tous les visiteurs du Louvre, et si je pouvais effacer de ma mémoire tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai étudié depuis vingt ans, je donnerais volontiers raison à la multitude. Il serait difficile de modeler avec plus de grâce et de morbidesse les figures d’Aphrodite et d’Eros. Par malheur, nous possédons au Louvre un marbre charmant qui représente Vénus accroupie, et Pradier s’est borné à le copier. Quant à l’Amour signé du nom du statuaire français, il n’est pas plus nouveau que sa mère. Les pierres gravées et les camées nous en offrent des modèles sans nombre. Est-ce à dire que le groupe de Vénus et l’Amour soit une œuvre sans mérite ? Telle n’est pas ma pensée. Parmi les hommes de notre temps, très peu seraient capables de copier la Vénus accroupie du Louvre aussi habilement que Pradier. Toutefois la critique doit faire ses réserves lorsqu’il s’agit d’apprécier les œuvres d’un artiste éminent : elle doit traiter les figures comprises et confondues dans une commune admiration comme les affineurs traitent les lingots soumis à l’analyse et faire le départ entre l’or pur ou l’invention et l’imitation ou le cuivre. Il nous importe peu que le groupe de Vénus et l’Amour soit taillé dans le fût d’une colonne de Paros. Pour nous, la seule question sérieuse est de savoir si ce groupe appartient à Pradier ou à ceux qui Tout précédé dans la carrière. Or, sans vouloir me prononcer sur l’originalité du marbre que nous possédons au Louvre, je puis affirmer du moins que Pradier en a copié fidèlement, servilement toutes les lignes. On dirait qu’il a compté sur l’ignorance de la foule, et je regrette d’avoir à confesser que la foule lui a donné raison. Bien que le Louvre soit accessible à tous les curieux, bien que chacun puisse contempler à loisir la Vénus accroupie, l’œuvre de Pradier fut accueillie par la foule comme une œuvre nouvelle. La présence de la Vénus accroupie à Paris même ne diminue en rien le mérite du groupe français, abstraction faite du passé ; mais tous les hommes éclairés reconnaîtront qu’elle atténue singulièrement les applaudissemens prodigués à l’auteur.

Le groupe de la Bacchante et le Satyre, placé aujourd’hui, je crois, dans la galerie du prince Anatole Demidoff, je suis presque honteux de le dire, est conçu d’après une donnée parfaitement absurde, comme le chœur de M. Ponsard dont je parlais il y a quinze jours. Plusieurs pierres gravées nous offrent, linéairement du moins, le groupe exécuté par M. Pradier ; mais il n’était jamais venu à la pensée d’un homme nourri dans la mythologie païenne d’imaginer un satyre aux prises avec une bacchante. L’absurdité mythologique une fois écartée, il faut rendre pleine justice au talent du statuaire. Le corps de la prétendue bacchante, qui sans doute est une hamadryade, nous ravit