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de ces fausses doctrines subversives de toute société, de toute autorité, de toute discipline. Il y avait donc autant de sécurité pour nous que de plaisir pour eux, quand nous les envoyions à terre. Leur grande joie était, avec leurs faibles ressources, de se procurer une voiture, et d’aller chercher, soit dans la ville, soit au dehors, tous les raffinemens du comfort, ceux du luxe même, comme ils les entendaient. Bien accueillis par les habitans, pour qui c’était un amusement de les voir gravement assis dans les calessines, et se faisant traîner le long de la Strada-Nova et de Toledo, du Pausilippe à Capo di Monte, nos matelots savaient se divertir en se souvenant encore de la discipline, moins en enfans qu’en gens bien élevés. Que si par malheur un d’entre eux. ayant un peu abusé du soleil et du vin de Sicile, venait à faire du bruit ou s’attaquait au premier uniforme qu’il rencontrait, parce qu’il l’avait pris pour celui du gendarme, ce mortel ennemi du matelot, une police vigilante s’emparait du délinquant, et, lisant sur son chapeau le nom de son navire, le ramenait à bord, où l’on pardonnait ordinairement des fautes qui n’étaient jamais bien graves, et si excusables d’ailleurs dans une vie où il y a si peu de place pour le plaisir. Naples n’avait pas moins de charme pour nos officiers, grâce à l’accueil toujours cordial et bienveillant qu’ils recevaient dans un monde où, par une condescendance hospitalière, on voit s’abaisser devant les étrangers toutes les barrières établies par le rang et la fortune. Il y eut un jour où ces bonnes relations de notre escadre avec la société napolitaine furent de quelque poids dans la politique, et je crois pouvoir assurer qu’elles aidèrent grandement le royaume des Deux-Siciles à sortir de la crise de 1848.

1843, 1844, 1845. — Pendant ces trois années, l’escadre est réduite à huit vaisseaux, et encore faut-il les constans efforts de M. l’amiral Mackau et du petit nombre d’hommes pratiques de nos assemblées pour empêcher la destruction de cette force navale, la seule avec laquelle il nous fût possible de pourvoir aux besoins imprévus de la politique. Il n’y aurait eu nul péril à la supprimer sans doute, si on l’eût remplacée par une flotte de frégates à vapeur en nombre toujours suffisant pour transporter sur n’importe quel point du globe un corps d’armée d’au moins vingt mille hommes rassemblé à Toulon, et destiné comme auxiliaire aux opérations maritimes. Ces troupes, familiarisées chaque jour avec les détails de l’embarquement, du séjour à bord et du débarquement, transportées quelquefois par forme d’exercice, soit en Corse, soit en Algérie, auraient été comme une dépendance nécessaire de la flotte à vapeur, et je ne crois pas que l’on eût perdu à ce changement, qui eût substitué à nos vaisseaux une force navale tout aussi puissante et d’une action bien autrement sûre et décisive ; mais ceux qui songeaient à supprimer l’escadre ne songeaient