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conscience : « les façons ne sont pas assez payées, disait-on; l’ouvrier reprend ce qui lui est dû. » On oubliait, outre mille autres considérations, que le prix du tissage a été débattu et accepté, qu’en se payant de ses mains, on se fait juge dans sa propre cause, et qu’il n’y a pas un seul vol qualifié dans le code pénal auquel il fût bien difficile d’appliquer une justification analogue.

Il est une passion qui a fait les plus grands ravages dans la classe ouvrière, c’est l’envie. On n’aime pas les riches, parce qu’on jalouse leur sort. En face de cette immense opulence accumulée dans Lyon, on ne se dit pas que les capitaux entretiennent et fécondent l’industrie; on ne se dit pas que la plupart de ces fortunes ont pour origine le travail : on n’y voit qu’une source de jouissances dont soi-même on reste privé. L’opulence lyonnaise ne s’étale point cependant au dehors. Dans toutes les classes, on aime ici à garder pour soi le secret de sa situation. Les ouvriers malheureux s’appliquent également à cacher leur indigence, et, si la richesse n’est pas fastueuse, la misère n’est jamais importune. Nous avons vu à la Croix-Rousse des ateliers très pauvres dont les maîtres recevaient l’assistance du bureau de charité; c’est tout au plus si les femmes mêlaient à leurs discours quelques mots sur la situation de la famille; quant au chef d’atelier, il se posait tout de suite sur un terrain général, discutant l’état de la fabrique, le taux des salaires, en refoulant au fond de son ame ses inquiétudes personnelles. On mendie beaucoup à Lyon, mais la mendicité est inconnue parmi les ouvriers de la soie.

Il serait impossible de signaler dans toute la France industrielle une autre population qui sache aussi bien, quand des crises économiques viennent paralyser le travail, se résigner et souffrir. Ce n’est jamais dans ces momens-là qu’ont éclaté les insurrections, et pourtant, combien les soubresauts sont fréquens et rudes dans cette somptueuse industrie! De loin, nous n’entendons parler que des grandes secousses qui marquent plus ou moins dans l’histoire: nous ignorons ces chômages moins éclatans, moins prolongés, qui viennent à tout moment jeter de nombreuses familles dans la gêne la plus rigoureuse. On s’impose alors les plus dures privations, on s’endette; mais nul ne songe qu’il soit dû quelque chose à celui qui manque de travail. La misère n’invoque point le droit à l’assistance; en revanche, si vous venez à son aide, elle reçoit le bienfait sans ressentir et sans témoigner la moindre reconnaissance : on dirait que les ouvriers voient un signe d’infériorité dans ce sentiment de gratitude qui seul, au contraire, peut rétablir l’équilibre entre des positions différentes. Du reste, on a des habitudes extrêmement laborieuses. Bien que les compagnons soient plus sujets à quitter leur besogne que les maîtres pour courir après des distractions souvent funestes, les exemples de découragement dans le travail restent des faits passagers et individuels. Les journées sont d’une