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ont fait le reste. Sans aller aussi loin que M. Liszt dans ses excursions historiques sur le génie de la race slave, il parait certain aujourd’hui que le compositeur polonais a trouvé dans la musique populaire de son pays, dans des walses, dans des mazurkas traditionnelles, des effets qu’il s’est appropriés avec un bonheur infini. Voilà ce qu’aurait dû nous apprendre tout simplement M. Liszt, au lieu de se fourvoyer dans un galimatias de métaphysique et de poésie sentimentale qui rappelle les beaux jours de l’école d’esprits faux et prétentieux à laquelle le célèbre virtuose est resté fidèle.

De M. Liszt à M. Richard Wagner, la transition est très naturelle, et ce n’est pas sans raison que nous avons rapproché les noms de ces deux artistes. M. Wagner est aussi un esprit novateur qui a voulu faire au-delà du Rhin une révolution musicale dans le genre de celle que M. Berlioz a essayé d’opérer à Paris ; mais la tentative du compositeur allemand n’a pas été plus heureuse que celle du compositeur français. Irrité de ce mécompte, M. Wagner s’en est pris tout naturellement au public du renversement de ses espérances, et dans le livre qu’il vient de publier[1], où se trouvent les trois poèmes dramatiques qu’il a mis en musique et dont on a méconnu la profonde originalité, M. Wagner repousse le jugement de ses contemporains, raconte sa vie, explique son système à ses amis, et fait un appel à la postérité. On voit que M. Wagner a suivi la marche ordinaire de tous les ambitieux éconduits qui, au lieu de reconnaître leur insuffisance, se rangent modestement parmi ces rares génies méconnus dont l’avenir seul pourra comprendre les sublimes conceptions. Comme on dit vulgairement, l’avenir a bon dos, et il est à présumer qu’il n’acceptera l’héritage qu’on lui destine que sous bénéfice d’inventaire. Puisque M. Wagner a un système qui a fait quelque bruit en Allemagne, et que ce système, repoussé par la grande masse du public, a trouvé un petit nombre de partisans, à la tête desquels se trouve M. Liszt, il y a lieu d’examiner rapidement la valeur de cette nouvelle théorie, qui pourrait bien n’avoir été inventée par M. Wagner que pour le besoin de sa propre cause et pour cacher aux yeux du vulgaire de profondes misères.

M. Richard Wagner est né à Leipzig le 10 mai 1813. Ayant perdu son père de très bonne, heure, il fut livré à ses propres instincts, et ne reçut d’autre éducation que celle que donne le hasard. Il se livra d’abord à l’imitation de ce qu’il voyait faire autour de lui ; il apprit la musique, parce que tout le monde l’apprend en Allemagne, et que cet art était d’ailleurs l’objet dont s’occupait une partie de sa famille, car il n’est pas inutile de dire que Mme Johanna Wagner, cette cantatrice allemande qui a soulevé à Londres un procès entre les directeurs du Théâtre de la Reine et celui de Covent-Garden, est la propre nièce de l’auteur du Tannhäuser. Après la musique, le théâtre devint aussi le but des préoccupations de M. Wagner, qui fit des drames comme il aurait fait également des portraits, dit-il, si son beau-père, qui exerçait la profession de peintre, n’était mort assez à temps pour ne pas éveiller à cet égard son instinct imitateur. Il est curieux de remarquer en passant que les prétendus

  1. Trois Poèmes d’opéra, par Richard Wagner, un vol. petit in-4o, Leipzig, cher Breitkopf et Haertel.