Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’exil sa triste et folle ambition. Il réside actuellement à Zurich, en Suisse, où il a écrit le livre qui nous a fourni les renseignemens qu’on vient de lire. Si nous avons insisté sur quelques détails de la vie de M. Wagner, c’est qu’ils expliquent en partie la nature de son esprit, dont l’orgueil et l’insubordination forment les principaux traits. M. Wagner est né mécontent, mécontent de la société, mécontent des hommes qu’il a rencontrés sur son passage et qui ont essayé de lui être utiles, mécontent enfin de l’art tel qu’il s’est formé par le concours des siècles et des génies supérieurs. M. Wagner tire vanité de cette disposition maladive de son caractère en disant, sous le voile de l’apologue, qu’elle est la source de tous les progrès, et que ce ne sont pas ceux qui pensent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles qui s’efforceront jamais de rien changer, à ce qui est. M. Wagner confond ici deux choses très différentes : il confond l’idéal qui plane incessamment au-dessus de l’esprit humain, dont il stimule l’activité et excite l’enthousiasme pour les belles choses, avec les infirmités de l’ame qui troublent le repos et l’intelligence de ceux qui en sont affligés. Rien n’est plus commun de nos jours que de rencontrer des esprits impuissans, pleins de haine pour cette abstraction qu’on appelle la société, qui a le tort impardonnable de ne pas s’abandonner au premier rêveur qui se présente pour la régénérer. Le vrai génie est très patient ; il doute, il cherche, il s’enquiert de ce qu’on a fait avant lui ; il vit, il marche, au lieu de perdre son temps à prouver la nécessité du mouvement. On peut affirmer avec certitude qu’un artiste qui croit avoir besoin de démontrer longuement la beauté de son œuvre et l’utilité de la réforme qu’il a entreprise est un artiste médiocre et fourvoyé. Haydn, Mozart, Beethoven, Weber, Rossini, ont fait des chefs-d’œuvre et point de théorie, et si Gluck, dans sa dédicace de l’opéra d’Alceste, a cru devoir expliquer les idées qu’il s’était formées sur la nature du drame lyrique, il y avait long-temps que son génie ne rencontrait plus en Italie de contradicteurs : l’auteur d’Orfeo et d’Alceste a fait, comme César, des commentaires sur les victoires qu’il avait remportées.

M. Wagner a composé le poème et la musique de quatre opéras, qui ont eu en Allemagne du retentissement, et qui ont soulevé une bruyante polémique. Ces quatre ouvrages sont : Rienzi, qui a été représenté à Dresde avec un certain succès ; le Vaisseau fantôme, qui n’a pas eu le même bonheur ; Lohengrin et Tannhäuser, deux sujets empruntés à l’histoire épique du moyen-âge, et qui sont tombés à plat, n’ayant excité que l’enthousiasme de M. Liszt, ce qui est de très mauvais augure pour l’avenir de M. Wagner. Nous ne voulons aujourd’hui que faire connaître les principes qui ont guidé M. Wagner dans son entreprise de réformateur. Ces principes sont bien simples et peuvent se résumer en une seule idée : l’exagération du système de Gluck et de Grétry, c’est-à-dire la subordination de la musique à l’action dramatique qui lui sert de cadre, la fusion de tous les élémens du drame lyrique dans un vaste ensemble qui soit le résultat logique d’un plan rigoureusement conçu. Pour obtenir cette unité désirée, pour incruster plus avant encore l’élément musical dans le tissu de la parole et de l’action, dont il ne doit être qu’un accessoire, M. Wagner a jugé à propos d’écrire lui-même les libretti