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aujourd’hui ramener l’Angleterre à la chétive feuille, à demi remplie, où le pauvre Butter imprimait, il y a deux cent vingt-cinq ans, avec des caractères uses, « les nouvelles de France, d’Allemagne et d’Italie, d’après l’original hollandais? »

Les chiffres qui viennent d’être cités montrent que le nombre des journaux de province est considérable en Angleterre, mais l’importance de ces journaux n’est pas en rapport avec leur nombre. C’est à la fin du règne de la reine Anne et sous le règne suivant qu’on vit naître quelques feuilles provinciales; les grandes villes eurent peu à peu chacune la leur. Pendant toute la durée du XVIIIe siècle, ces journaux ne firent que végéter obscurément. Ils étaient tous la propriété de l’imprimeur du lieu, qui remplissait avec des nouvelles locales et quelques extraits des feuilles de Londres l’espace que les annonces laissaient disponible. « Les journaux de Londres, un peu de colle et des ciseaux, voilà, dit un auteur, quel était tout le matériel des journaux de province. » Pitt, le premier, essaya de tirer parti de ces feuilles et d’en faire un instrument politique. Un de ses agens se mit en rapport avec ceux des journaux de province qui avaient la plus grande publicité, et on leur envoya aux frais du gouvernement deux ou trois journaux de Londres où l’on marquait journellement à l’encre rouge les articles qu’on désirait voir reproduire. L’administration suivante perfectionna ce système ; le clergé anglican fournit à tous les journaux de province des rédacteurs dévoués au gouvernement, et qui se firent de leurs services un titre à l’avancement. L’opposition, pour soutenir la lutte, fut obligée à son tour de se servir des mêmes armes, et d’opposer dans les comtés des feuilles libérales aux feuilles ministérielles : cette concurrence eut pour résultat de développer et de vivifier les journaux de province.

Néanmoins aucun de ces journaux n’a jamais pu arriver à une importance sérieuse, et l’établissement des chemins de fer les a condamnés pour toujours à l’insignifiance. Les journaux de Londres sont organisés de telle sorte que, dans toutes les occasions importantes, ils se vendent dans les grandes villes d’Angleterre, et même à Edimbourg, quelques heures à peine après l’heure à laquelle ils paraissent à Londres. Un journal d’Edimbourg, de Bristol ou de Liverpool aurait beau avoir à Londres un rédacteur chargé de recueillir les débats du parlement; la sténographie de ce rédacteur ne pourrait devancer d’une heure les journaux du matin, qui apportent les débats tout imprimés. Aussi les journaux de province ont-ils dû renoncer à une lutte impossible : soumis aux mêmes charges fiscales que les journaux de Londres, ils sont contraints de se vendre au même prix, et comme, à dépense égale, le public donnerait infailliblement la préférence aux feuilles métropolitaines, les journaux de province, loin de songer à